Par Maryse Dumas, syndicaliste
Faire tomber un tabou, c’est le combat du ministre de la Fonction publique. Vous pensez sans doute aux tabous de l’inégale répartition des richesses, ou de l’appauvrissement des services publics, à moins que ce ne soit à celui du creusement des inégalités sociales. Mais non ! Vous avez tout faux. Le tabou que vise le ministre est celui des conditions de licenciement des fonctionnaires. Donc, au moment où la santé, l’éducation, la justice, pour ne citer qu’elles, souffrent de ne pas trouver assez de candidates et candidats, le ministre n’a rien de plus pressé que de se séparer plus facilement des fonctionnaires en poste.
Fort opportunément, un sondage vient clore le débat avant même qu’il ne soit lancé : 70 % des Français approuveraient le ministre. Plus on en bave, plus on soutient ce qui en fait baver aux autres, pourrions-nous commenter… S’il s’agissait d’aligner la situation des salariés du privé et du public, on pourrait le faire par le haut en dotant chacune des situations de ce qui se fait de mieux dans l’autre. C’est ce que propose la CGT avec son nouveau statut du travail salarié. Proposition récusée par le patronat au prétexte, justement, qu’il offrirait aux salariés du privé des garanties similaires à celles de la fonction publique. Voilà un autre tabou qu’il serait bon de faire sauter. Mais revenons aux conditions de licenciement. La vérité, c’est qu’il est déjà possible de mettre les fonctionnaires à la porte. Cela s’appelle une révocation, et il y en a chaque année. La différence avec le privé touche aux motifs qui rendent la révocation possible et aux recours dont peuvent bénéficier les fonctionnaires avant que celle-ci ait lieu. Encore faut-il noter que ces garanties ne valent que pour les fonctionnaires, pas pour les agents contractuels de plus en plus nombreux à les remplacer, car moins chers et plus malléables.
Qu’est-ce qui justifie un traitement différent des fonctionnaires par rapport au privé ? C’est d’être au service de la nation plutôt qu’à celui des intérêts privés. C’est déjà pour cette raison que le Conseil d’État avait, dès 1937, mis un terme aux contrats de droit privé qui prévalaient jusque-là dans les administrations. Elles étaient confrontées à des problèmes insolubles de gestion, notamment pour assurer la continuité du service public sur tout le territoire. Le Conseil d’État affirme alors que « la fonction publique n’est pas un métier comme les autres mais une fonction au service de l’intérêt général ». Plus tard, en 1946, le statut général des fonctionnaires définit des règles communes aux fonctionnaires de toutes les administrations de l’État. Pour le ministre communiste Maurice Thorez qui le promulgue, il doit protéger le fonctionnaire de l’arbitraire et du favoritisme, afin qu’il puisse se consacrer exclusivement « au service de l’État et de la nation ». Ces principes seront étendus en 1983 par un autre ministre communiste, Anicet Lepors.
C’est cette adéquation entre principes de fonctionnement des services publics et contenu des règles statutaires des personnels qui est mis à mal par les politiques néolibérales. Depuis 2019, un code remplace déjà le statut. Résultat ? Le statut des agents publics est précarisé, les services publics sont en déshérence, le lien social fondamental se désagrège, la société se délite. Alors ? Alors le vrai tabou à faire tomber est celui de la domination sans partage du marché sur tous les aspects de notre vie.