Par Sébastien Crépel, codirecteur de la rédaction
Un lecteur étranger qui ne connaîtrait rien à l’histoire de notre pays aurait pu croire, en parcourant quelques hebdomadaires, la semaine dernière, que la France enterrait un de ses grands hommes. Passons rapidement sur les médias Bolloré, ou encore sur « Valeurs actuelles », qui n’a pas hésité à reprendre la photo de l’affiche de la campagne présidentielle de 2002 de Jean-Marie Le Pen pour célébrer le disparu (« C’était Le Pen » en gros titre de son hors-série collection), dans une belle confusion du journalisme avec la propagande. Prenons la une de « Paris Match », propriété de LVMH : « Jean-Marie Le Pen, une histoire française ». C’est à la fois beaucoup et banal. Une histoire française, vraiment, la minimisation de la Shoah ? Le doute jeté sur l’existence des chambres à gaz ? La justification de la torture en Algérie ? Les multiples condamnations pour provocation à la haine à raison des origines ? L’antisémitisme, l’anticommunisme, le reaganisme, la xénophobie, les violences jusqu’à ce que mort s’ensuive en marge des cortèges conduits par le fondateur du Front national, le compagnonnage avec les anciens SS et collaborateurs : tout cela est comme digéré, assimilé, lavé dans ce titre qui donne l’air de ne pas se mouiller.
C’est le même magazine qui titrait, le 2 mai 2002, pendant la formidable mobilisation de l’entre-deux tours de la présidentielle pour faire barrage au candidat du FN : « France : la République blessée, Chirac face au chaos ». Cette France-là, celle pour qui Le Pen père reste l’histoire d’un combat, d’un rejet absolu, et de la crainte de voir renaître les forces obscures qu’on croyait terrassées, « Paris Match » et d’autres l’ont reléguée en arrière-plan. Derrière les éloges et les hommages au « visionnaire », au « combattant » voire au « génie » sur certaines ondes.
Cette opération de blanchiment menée à la grosse caisse aurait été sans doute impensable il y a encore sept ou huit ans, avant celle de « normalisation » et de « banalisation » du FN/RN qui l’a mené aux portes du pouvoir. Après avoir purgé le présent des ombres gênantes du passé, place à une nouvelle étape avec la réécriture de ce dernier, où ce qui faisait honte hier encore est réintégré au récit d’une geste désormais présentée comme héroïque ! Pendant ce temps, de l’autre côté du Rhin, s’invente une odieuse falsification de l’histoire qui fait du communisme, ennemi de toujours du nazisme, l’héritier de ce dernier…
À la manœuvre, une poignée de grandes fortunes, qui tiennent en laisse un nombre croissant de médias, achèvent la conversion du monde de l’argent au projet (il)libéral de société autoritaire, comme on le voit ailleurs dans le monde. Aux États-Unis, treize milliardaires s’apprêtent à rejoindre le gouvernement de Donald Trump. Cette concentration de pouvoir et d’argent inégalée dans l’histoire sonne le glas de l’illusion des noces du libéralisme économique et du libéralisme politique dans le projet d’une démocratie tempérée et soucieuse du bien commun, annonciatrice d’une « fin de l’histoire ». C’est tout l’inverse qui s’écrit sous nos yeux, avec le choix d’une fraction de plus en plus large du très grand capital de promouvoir délibérément les partis d’extrême droite.
Hier épouvantail pour mieux garantir la pérennité des pouvoirs en place sous le mot d’ordre fédérateur de la République et de la démocratie, l’extrême droite est aujourd’hui le recours des grands magnats face à l’épuisement des forces qui garantissaient jusqu’alors la « stabilité » politique du pays. Dans les moments de crise et de grand trouble, le capital choisit toujours le parti de l’ordre, même quand il est aussi le parti du pire et de la haine.
Face à l’extrême droite, ne rien lâcher !
C’est pied à pied, argument contre argument qu’il faut combattre l’extrême droite. Et c’est ce que nous faisons chaque jour dans l’Humanité.
Face aux attaques incessantes des racistes et des porteurs de haine : soutenez-nous ! Ensemble, faisons entendre une autre voix dans ce débat public toujours plus nauséabond.Je veux en savoir plus.