Il faut entendre ce moment de vérité. Ces mots crus qui sortent sans filtre, tout naturellement. Jeudi dernier, sur le plateau de LCI, Bruno Retailleau est en train de justifier sa volonté de restreindre le droit du sol sur tout le territoire français. Et il lâche : « À Mayotte, vous avez un exemple, sur un petit territoire, d’une société totalement déséquilibrée par les flux migratoires. Or, ce sont des musulmans, ils sont noirs… Voilà. » Voilà quoi ? Voilà le problème ? Pour le ministre de l’Intérieur, apparemment oui. On croyait la République française indifférente à la couleur de peau et à la religion. On pensait que l’article 1er de la Constitution assurait « l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion ». Il faut croire que pour le Vendéen, qui a été longtemps compagnon de route de Philippe de Villiers, cela n’est plus d’actualité dans le 101e département. Voire au-delà ?
Cette sortie scandaleuse n’a pas fait grand bruit. Ce qui ne laisse d’inquiéter sur le processus de banalisation des propos racistes. Et sur la stratégie, non moins inquiétante, du duo Retailleau-Darmanin, qui rêvent chacun d’Élysée en s’installant sans complexe sur les terres xénophobes du RN et dans les bottes trumpistes. Quitte à attiser la haine et à fouler aux pieds les valeurs républicaines.
Car il faut le rappeler. Les élucubrations de la droite et de son extrême sur le droit du sol relèvent de l’imposture. Ces tristes sires se disent « patriotes » et « défenseurs » de la France éternelle. Mais de quelle France parlent-ils ? Celle que l’on connaît depuis la Révolution française, et même avant, n’a jamais trié les humains sur le seul droit du sang. Le savent-ils seulement ? La notion de droit du sol (« jus soli ») apparaît en 1515. À cette époque, où seul le roi peut délivrer des « lettres de naturalité », tout résident né en France, y compris de parents étrangers, peut hériter. Le droit du sol sera conforté en 1789, puis consacré en 1889. Il s’agit, on le voit, de l’un des socles – justement – de notre identité nationale. Même le régime raciste et antisémite de Vichy n’est pas revenu dessus, malgré des tentatives. Que Marine Le Pen veuille sa suppression pure et simple en dit long sur sa filiation politique. Et démontre que, derrière le décorum des drapeaux tricolores, le RN et tous ceux qui lui filent le train pataugent à contre-courant de l’histoire de leur propre pays.
Face à cette surenchère inconsidérée, François Bayrou, déjà coupable d’avoir repris à son compte le concept irrationnel de « submersion migratoire », aurait pu siffler la fin de la mi-temps. Mais l’opportuniste premier ministre, soucieux de ne pas s’aliéner les députés RN, a choisi au contraire d’ouvrir la boîte de Pandore en lançant, tel Nicolas Sarkozy en 2009, un « grand débat » sur le droit du sol et, au-delà, sur « l’identité nationale ». Une décision irresponsable. On le sait par avance : ce type de raout, dans un climat de montée des ultranationalistes, servira d’exutoire à l’extrême droite. Et ne peut que faire grandir le rejet et la méfiance dans l’imaginaire collectif, pour nourrir au final le vote xénophobe.
La responsabilité du gouvernement pourrait s’avérer funeste. Personne ne peut l’ignorer. Derrière ce débat sur la remise en cause du droit du sol, dont Trump ou encore Meloni ont aussi fait leur priorité, se dissimule une vision ethnique de notre société, porteuse d’un fantasme de pureté naturelle, où « le Français » ne pourrait être que blanc de peau et judéo-chrétien. Le tout au détriment de notre conception politique fondée sur des valeurs universelles de droits. Face à ce choix crucial, le gouvernement doit, de toute urgence, arrêter de jouer avec le feu.
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