Saint-Etienne (Loire), envoyé spécial.
« Bruno, tu avais le Che tatoué sur la peau. Je me permets de le citer : « Ayons une grande dose de goût de la justice et de la vérité pour ne pas tomber dans des dogmes extrémistes et dans l’aliénation des masses. » » Ce vendredi 3 janvier, à la lecture de l’éloge funèbre de Bruno Rejony, le cheminot de 52 ans tragiquement décédé sur l’axe Paris-Sud-Est alors qu’il conduisait un TGV le soir du réveillon de noël, Raphaël Lyonnet n’a pu retenir son émotion. « Bruno mon camarade. C’est un joli nom camarade. Tu m’as appris les prises de paroles. À commencer par écrire la conclusion pour savoir où tu voulais emmener les camarades dans leurs réflexions », insiste, les mains tremblantes, celui qui lui a succédé comme secrétaire général CGT des cheminots de Saint-Etienne.
À ses côtés, Mireille Carrot, à la tête de l’union départementale CGT de la Loire, poursuit : « L’annonce de ton décès brutal a été un choc pour tes collègues, camarades, famille et amis. Les mots ne changent rien à la douleur que nous vivons depuis le réveillon. Bruno était fier de défendre sa profession cheminote, souvent si attaqué, ce qui le rendait fou. »
Au milieu de la colonnade d’acier de la grande salle de la Bourse du travail de la capitale du Forez, les visages des 500 cheminots encore présents étaient marqués. « L’état d’esprit est lourd. Mais dans ces moments, la famille cheminote prend tout son sens », mesure Laurent Aubeleau, venu depuis Lyon. Dans la matinée, près de 2000 cheminots de toute la France s’étaient donné rendez-vous au crématorium, sur les hauteurs stéphanoises.
Au même moment, dans l’ensemble de l’hexagone à 11 heures, les agents SNCF s’étaient donné le mot pour marquer une minute de silence. « Bien sûr il y a les circonstances de ce décès. Mais nous avons reçu un tombereau de mépris sur les réseaux sociaux et les chaînes d’information. Des timbrés sont allés espionner son compte Facebook pour trouver des éléments pour avérer ou non la piste du suicide », avance le cheminot lyonnais.
Deux enquêtes en cours
Thierry Nier, lui, s’est fendu d’un appel pour recadrer le ministre des Transports, dès le 25 décembre. Alors que plusieurs centaines de voyageurs étaient bloquées, Philippe Tabarot avait déclaré sur CNews que l’incident « aurait pu être plus grave » si le salarié « avait souhaité faire dérailler son train ». « Je lui ai indiqué qu’il était intolérable d’instrumentaliser ce drame pour faire croire que l’entreprise SNCF et donc le service public n’étaient pas fiables en matière de sûreté ferroviaire », tance, les traits marqués, le secrétaire général de la CGT Cheminots. Qui ajoute : « Nous avons perdu un camarade. Sa famille, un membre. Bruno était un militant reconnu et rigoureux, qui avait la volonté de transmettre aux plus jeunes »
Dix jours après ce drame, deux enquêtes sont encore en cours : l’une judiciaire, l’autre au sein d’une commission santé, sécurité et conditions de travail (CSSCT), en interne à la SNCF. Dès le lendemain, mercredi 25 décembre, le parquet de Melun avait déclaré que « les premières constatations » laissent penser à un suicide de Bruno Rejony. Une information confirmée dans la foulée par la direction de la SNCF. « Le seul fait avéré, concret, est que les enquêtes sont en cours. À ce stade, la thèse de l’accident n’est pas à écarter. Cela pose des questions, car une porte de TGV n’est pas comme celle d’un avion : elle peut s’ouvrir alors que le train est en mouvement », tempère Thierry Nier.
Le précédent Brétigny
L’un des ses prédécesseurs à la tête de la fédération CGT des cheminots, Didier Le Reste, rappelle qu’« après l’accident de Brétigny, l’ex PDG de la SNCF Guillaume Pepy avait tout de suite avancé la piste d’un problème technique pour expliquer le déraillement du train. » Au final, l’état du réseau était en cause et la SNCF avait été condamnée pour homicides et blessures involontaires. « Rien ne laisse à penser que Bruno Rejony avait des projets suicidaires. Au contraire, il devait annoncer à sa belle-famille que sa fille allait avoir des jumeaux. Bien sûr, bien que les voyants soient au vert, cela n’empêche pas le passage à l’acte », poursuit le cofondateur et président de l’association Convergence nationale du rail.
Laurent Aubeleau, le cheminot lyonnais, acquiesce : « À ce stade, aucun élément n’accrédite la thèse du suicide. Bruno n’a pas laissé d’écrit. Divorcé de longue date, il avait refait sa vie, avec une militante syndicale. Oui, un de ses enfants est autiste, mais majeur. Ce n’était pas une nouveauté. » Une fois la période de deuil passée, les camarades cégétistes de Bruno Rejony auront donc à cœur d’éclaircir les faits, sur la disparition brutale du cheminot.
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