Salindres (Gard), correspondance particulière.
Sur la place centrale de Salindres, la haute cheminée s’élève au-dessus des toits, symbole d’une industrie implantée depuis cent soixante-neuf ans sur le territoire. « Les Roussonnais et les Salindrois ont vécu, grandi, mangé et dormi avec l’usine », résume Ghislain Chassary, maire PCF de Rousson (Gard), une commune voisine. Pour un territoire où le chômage « dépasse de deux à trois fois la moyenne nationale, la plateforme chimique partagée entre quatre entreprises représente un pilier économique », souligne Étienne Malachanne, son homologue divers gauche de Salindres.
Pourtant, début octobre, la direction de l’usine Solvay a annoncé la suppression de 68 emplois sur les 96 existants et la cessation d’activité courant 2025. La multinationale aux 588 millions d’euros de bénéfices en 2023 justifie sa décision en expliquant que l’établissement ne serait plus compétitif face à la concurrence asiatique sur les TFA (acide trifluoroacétique) et dérivés fluorés, d’autant que les nouvelles règles européennes sur les PFAS (per et polyfluoroalkylées, autrement appelés polluants éternels) renchérissent les coûts de production.
« Un emploi dans la chimie, c’est trois emplois indirects »
Dans une maison de pierre, en contraste avec le béton de l’usine voisine, des salariés syndiqués à la CGT partagent leurs préoccupations. Même si un mouvement de grève a permis de sauver 11 postes supplémentaires, la suppression de postes qualifiés, bien rémunérés pour la région, est un coup dur, d’autant « que, pour un emploi dans la chimie, ce sont trois emplois indirects ». En première ligne face aux produits chimiques, ils s’inquiètent aussi des risques sur leur santé. Des études de l’association Générations futures, publiées en février et octobre 2024, ont révélé des taux élevés de TFA dans les cours d’eau environnants et dans les réseaux d’eau potable de douze communes. « On n’a jamais trouvé de tels niveaux en France », indique François Veillerette, cofondateur de l’association.
« Quand on demandait à la direction des études approfondies sur la dangerosité de ce produit, on nous a toujours répondu qu’il était seulement corrosif. Pourtant, un mois après la publication de l’étude de Générations futures, Solvay nous a annoncé que le TFA changeait de classification pour devenir « cancérigène possible » », déplore Bilal Chala, opérateur de production et représentant CGT à la commission santé, sécurité et conditions de travail. Pour les représentants du personnel, la multinationale ne pouvait ignorer la dangerosité de cette substance. « Ils ont déjà rencontré des problèmes avec les PFAS aux États-Unis et en Italie. Dire qu’ils n’étaient pas au courant, je n’y crois pas », affirme Damien Olry, délégué central CGT.
Cinq risques sanitaires
Le comité social et économique (CSE) a mandaté une expertise consacrée aux « risques graves » concernant l’exposition au TFA. Le rapport du cabinet Cidecos conclut à une importante exposition des salariés, due notamment au défaut d’entretien de l’atelier où de nombreuses fuites ont été relevées. Cinq risques sanitaires sont identifiés, affectant les reins, le foie, la thyroïde, le développement fœtal et la fertilité masculine – des problèmes que les syndicalistes disent déjà observer parmi les salariés. Selon eux, l’entreprise aurait pourtant les moyens de sécuriser la production. « À La Rochelle, tout est propre et neuf, car ils investissent chaque année », note Damien Olry.
La CGT et Générations futures craignent que la cessation d’activité permette à Solvay de se défausser de ses responsabilités sanitaires et environnementales. « Il sera plus difficile de se retourner contre l’employeur en cas de maladie liée à l’exposition de TFA une fois qu’on sera licenciés », alerte Damien Olry. Les élus cégétistes revendiquent donc que le plan social intègre un « suivi de santé à vie et une caisse d’indemnisation spécifique ». Du point de vue environnemental, syndicat et ONG appellent à l’application du principe de pollueur-payeur, pour que le groupe prenne en charge la dépollution des sols et des eaux contaminés.
L’État n’est pas oublié par les défenseurs de l’industrie à Salindres. La CGT chimie a suggéré au ministre de l’Économie de transformer le site en « grand laboratoire industriel de dépollution des PFAS ». De son côté, le maire de Rousson appelle à mener deux études sur le long terme, l’une de santé publique auprès des salariés et de la population, l’autre sur les atteintes à l’environnement, et attend des pouvoirs publics que des propositions soient apportées pour maintenir une activité industrielle qualifiée sur le site.
Contacté par l’Humanité, Solvay précise que « le groupe ne produira plus de TFA » en France et « continuera à investir dans le traitement des eaux ».
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