Question pour un champion : je suis un ministre d’État, à la peine pour boucler son budget, qui vient de couper 10 milliards dans les dépenses publiques et s’apprête à sabrer une vingtaine de milliards en 2025, et qui n’a jamais donné suite à des parlementaires de tous bords lui proposant de récupérer 3 milliards d’euros chaque année en mettant fin à une fraude fiscale ayant coûté 33 milliards d’euros à la France entre 2000 et 2020… Je suis… Je suis…
Il est possible que le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, puisqu’il s’agit de lui, prête finalement attention à la proposition de loi (PPL) présentée ce jeudi par Nathalie Goulet (sénatrice Union centriste) et Charlotte Leduc (députée insoumise). Ce texte pèse lourd : 72 parlementaires de presque tous les groupes l’ont déjà signé et plusieurs de leurs homologues de la majorité présidentielle comptent franchir le pas.
Jeux de bonneteaux
Dans le viseur de cette PPL : « l’arbitrage des dividendes ». Soit deux jeux de bonneteaux préférés des banques françaises, permettant à leurs clients et actionnaires étrangers d’une entreprise en France d’éviter de s’acquitter de la retenue de 30 % sur les dividendes.
La première combine, appelée « CumCum », est à la frontière de la légalité. Il s’agit d’une sorte de ping-pong entre l’actionnaire indélicat et un correspondant complice (souvent une banque) basé en France ou dans un pays disposant d’une convention fiscale favorable avec l’Hexagone. Le premier envoie ses titres au second juste avant le versement des dividendes. Ce dernier, qui ne paye pas la taxe, récupère les sous et les renvoie dans un troisième temps à son correspondant avec les actions.
La seconde, « CumEx » est une fraude avérée. Dans ce ping-pong multijoueur, les actionnaires multiplient les échanges d’actions juste avant le versement des dividendes afin d’embrumer le fisc. Tous ces larrons demandent ensuite au fisc le remboursement de la taxe qui n’a donné qu’à une seule retenue d’impôt.
140 milliards d’euros de perdus dans l’UE
Ces combines mises au jour en 2018 ont donné lieu à une enquête du Parquet national financier et à des perquisitions aux sièges de BNP, Exane, de la Société générale, Natixis et HSBC. Elles auraient fait perdre 140 milliards d’euros aux États européens de 2000 à 2020, dont 33 milliards à la France. Depuis, la Fédération bancaire française est parvenue à fragiliser l’enquête en gagnant un recours devant le Conseil d’État.
Contre les CumCum, l’article 1 de la PPL instaure une retenue à la source. À charge aux personnes établies dans des pays fiscalement accommodants de prouver qu’ils sont bien propriétaires des actions afin de récupérer la retenue. Contre les CumEx, l’article 2 empêche qu’un remboursement puisse intervenir sans que le fisc ait pu vérifier que la retenue à la source a effectivement eu lieu. Les deux mesures pourraient faire récupérer 3 milliards d’euros au Trésor.
« Le ministre est ouvert à la discussion. Mais le lobbying de la Fédération bancaire française est très actif », relève la députée Charlotte Leduc. « On prend l’argent dans la poche des voleurs et pas dans celle du contribuable », fait valoir la sénatrice Nathalie Goulet, qui espère que ces propositions anti-fraude ne seront cette fois plus rejetées par le gouvernement.