Dans un monde idéal, ce sujet n’existerait pas et cet article n’aurait pas lieu d’être. L’Organisation internationale du travail en a conscience et prend soin, en début de son rapport « Profits et pauvreté : la dimension économique du travail forcé », de bien baliser son étude publiée le 19 mars : « Le recours au travail forcé devrait être considéré comme une infraction pénale et les profits qu’il peut générer sont illégaux en soi. »
Passé cette prévention, la réalité décrite par l’OIT nous saute aux yeux. Le travail forcé générerait dans l’économie privée mondiale jusqu’à 236 milliards de dollars (218,5 milliards d’euros) de profits par an. L’organisation prend ici en compte « tout travail ou service exigé d’un individu sous la menace d’une peine quelconque et pour lequel ledit individu ne s’est pas offert de plein gré ».
Les femmes, premières victimes du travail forcé
Si les formes de contrainte les plus courantes restent la retenue de salaire et l’abus de vulnérabilité par la menace de licenciement (plus de la moitié des cas), d’autres formes plus graves de coercition restent en vigueur, comme « l’isolement forcé, la violence physique et sexuelle ou encore les privations », selon l’OIT. Dit autrement par le directeur général de l’organisation, Gilbert F. Houngbo, « le travail forcé perpétue les cycles de pauvreté et d’exploitation et porte atteinte à la dignité humaine ». Malheureusement, « la situation n’a fait qu’empirer », conclut-il.
Le montant total des profits illégaux tirés du travail forcé a augmenté de 37 % depuis 2014, une hausse qualifiée de « spectaculaire » par l’OIT et qui serait alimentée par une augmentation du nombre de personnes forcées à travailler ainsi que par la hausse des profits générés.
Aucune région du monde n’est épargnée. L’Europe et l’Asie centrale forment la partie du globe qui génère le plus de « chiffre d’affaires » (84,2 milliards de dollars), devant l’Asie-Pacifique (62,4 milliards), les Amériques (52,1 milliards), l’Afrique (19,8 milliards) et les États arabes (18 milliards). La différence de montant d’argent sale généré ne s’explique pas par le nombre de victimes concernées, mais par le profit moyen soutiré sur le dos de chaque victime.
L’exploitation sexuelle commerciale forcée (ESCF) représenterait 73 % des 236 milliards de profits illégaux. Ces 172,28 milliards de dollars ne seraient générés « que » par 27 % du nombre total de victimes de travail forcé, soit « environ 6,3 millions de personnes » en 2021 sur un total de 23,6 millions de personnes. Car une personne exploitée sexuellement rapporterait, à elle seule, 27 252 dollars de profits annuels à ses exacteurs, contre une moyenne de 3 687 dollars dans les autres secteurs.
Le sexe de ces victimes apparaît comme un facteur déterminant, « près de quatre personnes sur cinq (78 %) prises au piège (étant) des filles ou des femmes », tandis que « les enfants représentent le quart (27 %) du total de ces cas ».
Comble du sordide, « la plupart du temps, les personnes en situation d’exploitation sexuelle commerciale forcée sont très peu rémunérées, voire pas du tout. Dans certains exemples, les victimes sont privées de rémunération parce qu’elles doivent rembourser un emprunt qu’elles ont été contraintes de contracter. Sous divers prétextes fallacieux, les trafiquants accumulent les retenues sur salaire pour remboursement de frais de nourriture, de vêtements, de loyer, d’alcool ou d’intérêts exorbitants ».
La sous-rémunération, corollaire de l’exploitation
Dans le classement des secteurs les plus lucratifs, arrivent ensuite l’industrie (35 milliards de dollars), les services (20,8 milliards de dollars), l’agriculture (5 milliards de dollars) et le travail domestique (2,6 milliards de dollars). Dans toutes ces branches, la sous-rémunération prédomine au travail forcé et prend de multiples formes.
La rémunération à la pièce (industrie), à la part de la prise (pêche) est toujours moins bien payée qu’au salaire horaire. Le sous-paiement ou le non-paiement des primes, des heures supplémentaires, le salaire versé inférieur à ce qui était convenu, le manque de clarté concernant le calcul ou le paiement, les retenues salariales illégales sont autant de biais qui mènent à l’exploitation.
Face à ce fléau, le rapport de l’agence onusienne milite pour des poursuites pénales systématisées grâce à des voies de recours plus accessibles aux victimes, le tout dans un cadre juridique « renforcé et aligné sur les normes juridiques internationales », avec l’aide d’une inspection du travail au champ d’intervention élargi.
Les migrants internationaux sont l’objet d’un juteux business. L’Organisation internationale du travail (OIT) estime qu’en 2021, la sous-rémunération de leur travail, sous forme de salaires et de primes non ou partiellement versés, d’heures supplémentaires non ou insuffisamment prises en compte, ainsi que de retenues abusives, a généré 31,4 milliards de dollars au bénéfice de leurs exploiteurs.
À cela s’ajoutent 5,6 milliards de commissions de recrutement et frais connexes qui leur sont illégalement et fréquemment soutirés. « Ces commissions peuvent être imposées à ces victimes de travail forcé par les employeurs, les agences de recrutement ou des intermédiaires, ou par des fonctionnaires corrompus exigeant des pots-de-vin ou dessous-de-table », ainsi que « par des trafiquants en recouvrement des coûts supposés de la traite », analyse le rapport de l’OIT. Les migrants internationaux génèrent ainsi à leurs dépens 37 milliards de dollars (34 milliards d’euros).