La pression populaire monte. Depuis la victoire aux législatives, le peuple de gauche exige un nom. Et vite ! Mais le Nouveau Front populaire (NFP) n’y arrive pas : le conclave des chefs traîne en longueur. Quasiment une semaine de discussions. Qui pour Matignon ? Les partis mettent plus de temps pour désigner un premier ministre que pour s’accorder sur un programme commun et le partage des circonscriptions. Ils avaient laissé cette question de côté pendant la campagne législative mais elle est revenue comme un boomerang vendredi, date où l’Humanité révèle que le nom d’Huguette Bello est au cœur des tractations au sein du NFP.
C’est dans la nuit de mardi à mercredi que son profil – personne ne l’avait vu venir – sort du chapeau. Depuis plus de deux jours, les négociations se fracassent sur les ambitions des socialistes, qui poussent leur premier secrétaire Olivier Faure, et des insoumis, lesquels posent quatre noms sur la table (Manuel Bompard, Mathilde Panot, Clémence Guetté et Jean-Luc Mélenchon). En parallèle, les écologistes, force pivot de l’alliance d’un point de vue numérique, tentent de hisser à la présidence de l’Assemblée nationale la députée Cyrielle Chatelain, sans exclure la possibilité d’envoyer Marine Tondelier à Matignon.
Cécile Duflot, Christophe Robert ou… Huguette Bello ?
Au milieu de la nuit, Olivier Faure (PS), Manuel Bompard (FI), Marine Tondelier (Les Écologistes) et Fabien Roussel (PCF) s’isolent à quatre dans une salle de réunion des plus quelconques. Plus efficace, plus direct. Les deux premiers ne veulent rien lâcher et expliquent tour à tour pourquoi le futur premier ministre doit être issu de leur famille politique. Chacun met un veto sur le candidat de l’autre. « Alors, ça ne sera ni l’un ni l’autre, soufflent Marine Tondelier et Fabien Roussel vers 2 heures du matin. Donc, ce sera un premier ministre soit communiste soit écologiste. Ou une troisième voie : un élu local ou une personnalité issue des mondes syndical ou associatif. »
Consciente qu’il faut accélérer le tempo pour contraindre Emmanuel Macron à nommer une personnalité du NFP, la numéro 1 des Écologistes avance le profil de Cécile Duflot, son mentor et ancienne ministre du Logement aujourd’hui à la tête d’Oxfam France. Le secrétaire national du PCF propose Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé-Pierre. Les autres font la moue. C’est alors que Fabien Roussel abat la carte Huguette Bello, actuelle présidente du Conseil régional de La Réunion. « Une personnalité politique nationale, connue, respectée et dont l’engagement à gauche ne fait douter personne », dit-il. Ses homologues ne réagissent pas. L’idée ne semble pas faire l’unanimité mais le secret est gardé plusieurs jours. L’intéressée, qui n’appartient à aucune des quatre formations, ne sait pas alors que son nom est cité pour Matignon.
Par l’entremise d’André Chassaigne, président du groupe GDR où Huguette Bello a siégé pendant 14 ans, le PCF prend attache avec elle. « Elle ne s’y attendait pas du tout. Elle est très honorée », rapporte son entourage. Jeudi matin, Jean-Luc Mélenchon, un temps réticent, décroche aussi son téléphone pour vérifier l’information. L’hypothèse prend du crédit mais, l’après-midi, les discussions reprennent sans que les socialistes ni les insoumis ne transigent sur leurs prétentions. L’échange tourne en rond sur les mêmes profils. Marine Tondelier s’énerve. Le blocage dure jusqu’aux révélations de l’Humanité.
« Elle devrait pouvoir mettre tout le monde d’accord »
La France insoumise finit par étudier l’option de sortie de crise : ses candidats sont jugés trop peu à même de bâtir des majorités larges. La présidente de région présente un avantage pour eux : elle est proche de Jean-Luc Mélenchon, qu’elle a soutenu à la présidentielle. Elle figurait aussi sur la liste de Manon Aubry aux européennes. « On voit ça d’un bon œil », glisse une cadre de LFI. Dans la journée, Marine Tondelier s’entretient au téléphone avec la première ministrable qu’elle ne connaît pas personnellement. « Ce qui compte, c’est de faire rapidement consensus sur un nom. Elle a des atouts : femme, Outre-mer… », glisse alors un proche de la secrétaire nationale des Écologistes.
À l’Assemblée nationale, le bruit commence à courir et les députés se rallient un à un à cette idée. Sauf les socialistes qui restent arc-boutés sur leurs positions. « Ça ne fait pas rêver », raille l’un d’entre eux avant que ses collègues ne se chargent de déterrer quelques sujets pour mettre cette candidature en difficulté sans rappeler que le PS fait partie de sa majorité régionale. Luc Carvounas – qui « n’imagine pas le NFP valider cette candidature » – rappelle par exemple qu’Huguette Bello « n’a pas voté le mariage pour tous quand elle était députée ». « Elle a célébré le premier mariage homosexuel à La Réunion en tant que maire de Saint-Paul, balaie l’une de ses proches. Depuis, elle a pris fortement fait et cause pour les personnes LGBTQIA +. Sur le sujet, les choses ont évolué depuis 2013. »
Vers 16 heures et alors que tous les médias ont parlé toute la journée de cette hypothèse, les discussions reprennent. Les socialistes, en bloc, n’en démordent pas. Un tweet de Valérie Rabault, ancienne vice-présidente PS de la chambre basse, change la donne : « Huguette Bello a été 23 ans députée, elle connaît bien les rouages politiques de l’Assemblée nationale. Elle a un franc-parler qui fait du bien à la démocratie et de solides convictions. Elle sait négocier. Elle devrait donc pouvoir mettre tout le monde d’accord. » Dans la soirée, Jean-Luc Mélenchon valide publiquement la candidature d’Huguette Bello, une « solution » qui « coche de nombreuses cases ». Malgré la pression des partis et l’impatience populaire, les socialistes ne cèdent pas. « Ils bloquent d’abord parce qu’ils veulent un premier ministre venant de chez eux. Ils manquent de souplesse », enrage un observateur des discussions.
La gauche pourrait malgré tout connaître bientôt l’identité de la personnalité que les partis de gauche ont choisie pour Matignon. La pression pèserait alors sur celui qui refuse d’accepter le verdict des urnes, Emmanuel Macron, lequel saurait à qui s’adresser pour lui demander de former un gouvernement.