Ça ne passe pas pour le congé menstruel. La proposition de loi portée par la sénatrice socialiste Hélène Conway-Mouret pour un arrêt de travail menstruel a été rejetée par le Sénat, à l’aide du scrutin public demandé par Les Républicains. Débattu ce jeudi 15 février, la proposition de loi partait déjà avec un désavantage : elle avait été rejetée en commission des Affaires sociales le 7 février dernier par les Républicains et l’Union centriste.
Un moyen d’encourager les femmes à entamer un suivi
Le texte prévoyait un congé menstruel indemnisé par la Sécurité sociale pour les femmes souffrant de dysménorrhées, des règles douloureuses, de deux jours par mois, chaque mois, valable un an. Cet arrêt de travail, pris en charge par l’Assurance maladie et non l’entreprise, serait délivré par un médecin ou une sage-femme, sans délai de carence.
Pour Hélène Conway-Mouret, l’initiative encouragerait les femmes concernées à entamer un suivi médical. « Il faut espérer qu’un an plus tard, elles n’auront pas besoin de renouveler l’arrêt menstruel. Cette proposition contribue ainsi indirectement mais certainement à l’amélioration du suivi médical », avait assuré la socialiste en début de séance.
Certaines entreprises n’ont pas attendu pour mettre en place un congé menstruel, comme Louis Design, ou Carrefour, qui avait annoncé mettre en place un congé menstruel sans période de carence. Saint-Ouen, en Seine-Saint-Denis, a mis en place le congé menstruel pour ses employées communales. Sur les 891 agents de la ville, dont 212 sont concernées par les dysménorrhées, « 28 seulement se sont signalées à la médecine du travail et bénéficient d’un protocole spécifique.
Six ont bénéficié d’une adaptation du poste de travail, six d’une réduction du temps de travail, et 16 ont fait appel à un arrêt », précise Hélène Conway-Mouret, qui a auditionné les entreprises et collectivités ayant adopté le dispositif. Aux critiques et craintes d’abus potentiels de ce congé, elle répond : « il n’y a rien à craindre. Dix pour cent seulement des femmes au sein des entreprises sondées ont sollicité un accompagnement.
Il est temps de faire confiance à la responsabilité des femmes de notre pays ». Au Japon, où le congé menstruel a été mis en place dès 1947, seul 0,9 % des personnes menstruées en profite, ce qui « reflète certainement l’appréhension d’être discriminées », assure Amy Bah, présidente de Nous Toutes Lille.
Un sujet loin de faire l’unanimité
Le projet divise pourtant élus et associations, certains craignant des effets contre-productifs. Derrière le débat sur un potentiel congé menstruel, se pose la question du budget alloué à la recherche pour traiter des maladies comme l’endométriose, alors que les associations se plaignent d’une avancée trop lente.
Autre crainte, celle de la discrimination à l’embauche, mais pour Hélène Conway-Mouret, « pas plus ni moins que pour le congé maternité. Ce qui est stigmatisant ce serait de laisser penser que les employeurs se refusent aujourd’hui à recruter une femme parce qu’elle pourrait avoir des enfants. Ce qui est véritablement stigmatisant pour nous les femmes, c’est d’être pénalisées par ce que nous ne contrôlons pas ou d’être suspectées de vouloir profiter d’un nouveau droit ».
Si tous ont salué l’initiative socialiste et se sont réjouis que la parole se libère sur ce tabou, nombreux ont jugé ce projet mal adapté, contraire au secret médical et risquant d’induire « rupture d’égalité entre les professions », selon la sénatrice Les républicains Béatrice Gosselin.
Pour la sénatrice de droite Marie-Claude Lhermitte, « viser les dysménorrhées en général nous semble beaucoup trop large. Même si elles peuvent y être associées, elles ne reposent pas toutes sur une pathologie. Il ne nous semble pas raisonnable d’accorder un arrêt maladie valable deux jours par mois, tous les mois sans que cet arrêt ne repose sur le diagnostic d’une pathologie ». Elle est rejointe par la sénatrice de l’Union centriste Brigitte Devésa : « les douleurs menstruelles, si elles sont récurrentes, ne se répètent pas forcément chaque mois ». Elle s’inquiète également du financement de ces arrêts de travail.
« La simple suppression du jour de carence coûterait environ 100 millions d’euros par an à la Sécurité sociale. C’est malheureusement inenvisageable dans le contexte actuel de nos finances sociales. Il faut ajouter à ce coût la perte de productivité pour nos entreprises. Ce serait accentuer les problèmes d’effectifs dans certains métiers en tensions ». Un argument qui fait bondir Amy Bah : « il y a une réelle volonté d’écarter tous les sujets liés au féminisme par des arguments productivistes ».
La présidente de Nous toutes Lille s’inquiète de la banalisation de la douleur des femmes, encore courante dans le corps médical. « Le congé menstruel doit être accompagné de dispositifs socio-médicaux. Puisque les professionnels de santé fournissent le certificat médical pour ouvrir ce droit à congé, la politique de non-discrimination doit commencer dès cette étape ».