Durant l’été, l’Ukraine, qui connaissait des difficultés sur le plan militaire avec les succès russes dans le Donbass, a subi un autre revers. Le 1er août, l’agence S&P a dégradé sa note : « défaut sélectif », à un cran du défaut de paiement. Quinze jours plus tard, c’était au tour de Fitch d’abaisser la note de crédit de l’Ukraine de « C » à « restricted default ».
Le reproche ? Les autorités ukrainiennes n’ont pas pu rembourser une partie de la dette à long terme alors que le pays se trouve en pleine guerre depuis l’invasion russe le 24 février 2022. La destruction des infrastructures énergétiques ralentit la production des usines et pousse une partie de la main-d’œuvre au départ.
Après plusieurs semaines de négociations, l’Ukraine a obtenu une restructuration de 20 milliards de dollars d’obligations internationales, en septembre. L’un des principaux soutiens, le Fonds monétaire international, avait stipulé que la dépréciation était nécessaire pour rendre les niveaux d’endettement viables.
L’objectif des autorités ukrainiennes reste un assouplissement significatif pour pouvoir « emprunter à nouveau sur les marchés financiers internationaux », a expliqué le ministre ukrainien des Finances, Serhiy Marchenko. L’Ukraine veille à « maintenir la stabilité budgétaire nécessaire pour continuer à financer (sa) défense », a-t-il ajouté.
Une croissance dépendante du conflit
En l’espace de vingt ans, deux autres phases de restructuration ont déjà eu lieu. La première avec la crise de 2008, sous l’impulsion du FMI et des libéraux. La seconde intervient après le mouvement de contestation populaire sur la place Maïdan en 2013-2014. Sur fond de partenariat économique avec l’Europe au détriment de la Russie, une crise politique et économique avait éclaté, se prolongeant en conflit dans le Donbass et en Crimée.
Elle engendre deux années de récession, une base industrielle dévastée par le conflit, une monnaie qui a perdu près de 70 % de sa valeur face au dollar, une inflation proche de 35 %. En échange d’une aide financière, le FMI et l’Union européenne ont réclamé des privatisations, des coupes budgétaires et des ouvertures de capital aux entreprises étrangères dans le domaine de l’énergie.
Après un effondrement de 29,1 % de son PIB en 2022 et une croissance de 5,3 % en 2023, l’Ukraine, selon les prévisions du FMI, devrait réaliser une croissance de 3 % en 2024, avec une inflation projetée à 9 %. « La croissance économique en Ukraine devrait ralentir au second semestre avec les attaques russes contre les infrastructures énergétiques et des effets persistants de la guerre sur le marché du travail et les attentes des entreprises », estime l’organisme. Ce dernier prévoit une croissance économique de 2,5 à 3,5 % pour 2025.
Les produits sidérurgiques, l’énergie (électricité, gaz) et la suspension des droits de douane ou leur aménagement ont favorisé les exportations ukrainiennes (œufs, volaille, sucre, maïs et miel) vers l’UE. Cette reprise commerciale et la hausse de la production militaire nationale ont soutenu la croissance. Mais elle est dépendante du conflit. De même, la production d’acier (10 % du PIB avant 2022), qui demeure cruciale pour l’économie du pays, a chuté de 21,4 millions de tonnes en 2021 à 6,2 millions en 2023 avec les destructions.
Le potentiel économique de l’Ukraine repose sur des gisements minéraux stratégiques d’une valeur de plusieurs milliards de dollars, tels que l’uranium, le titane, le lithium et le graphite et des terres à blé extrêmement fertiles. Si 80 % du territoire demeurent à l’écart des combats intensifs, la plupart des régions agricoles et industrielles (charbon, acier…) sont rendus inopérantes par les mines et les munitions non explosées.
Les créanciers lorgnent la reconstruction
La reconstruction, prochaine étape pour l’Ukraine, intéresse fortement les principaux groupes de créanciers : Allemagne, Canada, France, Japon, Grande-Bretagne et États-Unis. La Banque mondiale a récemment estimé son coût à près de 500 milliards de dollars. Le pays va devoir lutter contre la pauvreté qui a plus que quadruplé. Une famille sur trois est désormais en situation d’insécurité alimentaire.
Selon la revue britannique « The New Statesman », qui vient de publier un article sur « la bataille néolibérale pour la reconstruction de l’Ukraine », le PDG de BlackRock, Larry Fink, aurait déclaré que la reprise de l’économie après la guerre pourrait devenir « un phare pour le reste du monde quant à la puissance du capitalisme ». Non seulement cette reconstruction serait synonyme de débouchés commerciaux, mais elle représenterait une opportunité idéologique.
« Si les dirigeants politiques occidentaux ont vu dans la guerre en Ukraine une occasion de revigorer l’élargissement de l’UE et de l’Otan, Fink et ses semblables y ont vu une opportunité de raviver une foi déclinante dans le capitalisme », écrit « The New Statesman ».
Face à ces vautours, les syndicats ukrainiens sont prêts à en découdre. Le président de la Confédération des syndicats libres d’Ukraine (KVPU), Mykhailo Volynets, alerte déjà : « Chaque jour, les travailleurs voient leurs salaires gelés alors que le nombre d’heures ne baisse pas et que les impôts et les prix augmentent. Avec la reconstruction sur le long terme, la condition inaliénable est le respect des droits des travailleurs selon les normes et les conventions régies par l’OIT. »
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