Quoi qu’en dise le premier ministre, François Bayrou, le niveau de dépense publique est resté, depuis 2008, globalement stable, pandémie exceptée. La hausse de la dette s’explique donc pour beaucoup par la baisse des recettes. Sauf qu’aucune étude depuis 2014 n’a chiffré la question. Jusqu’à ce qu’Attac et Comité pour l’Abolition des Dettes illégitimes s’en saisissent et révèlent à l’Humanité leurs conclusions.
Que représentent les baisses d’impôts dans le poids de la dette ?

Vincent Drezet
Porte-parole d’Attac et coauteur du rapport « La dette de l’injustice fiscale »
Depuis dix ans, entre 2014 et 2023, le coût net des baisses d’impôts est de 454 milliards d’euros. Coûts nets, car nous avons pris en compte les quelques hausses d’impôts comme la taxe sur les services numériques, mais aussi modéré le manque à gagner des baisses de cotisations par rapport à l’impôt sur les sociétés, qui aurait été moins élevé sans ces abattements. Nous nous sommes aussi appuyés sur des études officielles comme celles de France Stratégie, pour intégrer dans nos estimations les potentiels effets positifs de ces mesures, et ainsi être le plus objectifs possible.
Si nous avons fait les calculs depuis dix ans, nous les avons aussi reproduits depuis 2018, après l’arrivée au pouvoir de Macron. Avec 308,62 milliards d’euros, les baisses d’impôts qu’il a ordonnées comptent pour près de 35 % de la hausse de la dette, alors qu’il y a eu la pandémie ! Sans les mesures fiscales prises depuis 2014, la dette représenterait 93,8 % du PIB, et sans celles de l’ère Macron, 99 %, au lieu des 109 % aujourd’hui.
Qu’en est-il des cadeaux fiscaux faits aux plus riches et aux grandes entreprises ?
Les baisses d’impôts au profit des plus aisés et des grands groupes dépassent les 207 milliards d’euros depuis 2018, soit un quart de l’aggravation de la dette. Le trou est principalement creusé par la fin de l’ISF (34 milliards), la transformation du CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) en baisse de cotisations (105 milliards), la baisse de l’impôt sur les sociétés sur les grandes entreprises (44 milliards)… Je ne vais pas toutes les citer mais en tout cas, la dette est creusée par un système fiscal injuste et déséquilibré.
On savait que les aides aux entreprises étaient le premier poste de dépense de l’État, là on mesure à quel point elles creusent la dette. Comment expliquer que ces arguments soient si absents du débat public ?
Depuis quarante ans, les libéraux répètent que pour créer de l’emploi, il faut baisser les « charges ». Le libéral Helmut Schmidt affirmait que les profits d’aujourd’hui, sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain. Et nos gouvernements successifs restent fidèles à ce dogme. Pourtant, on se rend compte que les profits d’aujourd’hui sont plutôt les dividendes de demain et les inégalités d’après-demain.
Et s’il y a très peu d’évaluations de ces dispositifs, c’est tout aussi idéologique. Ils sont de moins en moins mesurés dans les projets de loi de finances, quand ils ne sont pas carrément absents, comme la niche fiscale Copé sur les plus-values.Résultat, des aides comme le crédit impôt recherche peuvent être facilement fraudées ou ne sont en tout cas pas maîtrisées. On ne l’a pas pris en compte dans ce rapport, mais cela aussi augmente le poids de la dette.
Dans la commission d’enquête sénatoriale sur les aides publiques aux entreprises en cours, les patrons auditionnés estiment qu’on ne peut pas évaluer l’efficacité d’une aide à la compétitivité, surtout pas en termes d’emploi : qu’en pensez-vous ?
La compétitivité dépend de multiples facteurs. Les patrons la réduisent aux coûts fiscaux et sociaux, pour justifier ces mesures idéologiques. Mais il y a aussi le savoir-faire, la capacité d’embaucher des salariés bien formés et en bonne santé, la stabilité politique, le niveau de la demande locale… Ce sont des facteurs de compétitivité et d’attractivité. En tout cas, il faut vraiment des évaluations transparentes de ces aides, avec des objectifs de résultats, c’est une exigence démocratique.
Quelles sont vos principales propositions pour maîtriser la dette ?
Déjà, il faudrait une loi de finance au service de la protection sociale et de l’environnement, cela permettrait au passage de créer des emplois. Avec une réforme fiscale plus juste, on pourrait dégager des ressources, cela nous le portons depuis toujours avec Attac.
La Banque centrale européenne pourrait aussi sortir les États de leur dépendance aux marchés financiers pour se financer, en rachetant la dette à son émission. Et toujours au niveau européen, nous proposons, comme cela a été fait pour le Covid, la création d’une dette mutualisée au niveau européen pour l’investissement, car le mur climatique est devant nous.