Ce n’est pas parce qu’ils ont remporté une bataille qu’ils pensent avoir eu gain de cause. Suite à leur mobilisation, les salariés d’Hennessy, la plus grande maison de cognac – dernière lettre du groupe LVMH –, ont suspendu lundi son projet de délocalisation de la mise en bouteille de sa précieuse liqueur en Chine. Mais suspension ne vaut pas abandon définitif. Ils manifestent à nouveau ce jeudi, cette fois devant le bureau national interprofessionnel du cognac, pour obtenir des garanties et porter leurs solutions.
« L’enjeu dépasse la maison Hennessy, assure Renaud Audidier, responsable de l’union locale CGT, parce que cela met en danger les activités locales de fabrication de bouteilles en verre, l’impression des étiquettes… » Le militant syndical travaille lui-même à l’usine de Verallia, où vient d’être inauguré un four 100 % électrique, à basses émissions de CO2, justement pour fabriquer des bouteilles de cognac.
« On subit la guerre commerciale des autres »
La CGT d’Hennessy mais aussi des représentants syndicaux des autres maisons, des tonneliers, verriers, imprimeurs, fabricants de bouchons et de cartons vont donc manifester pour demander l’extension de l’appellation d’origine contrôlée (AOC) à la mise en bouteille.
Se prévaloir du nom cognac impliquerait alors d’embouteiller dans la région. « Cela se fait en Champagne ou pour le porto. La discussion du cahier des charges de l’AOC avec ceux qui en sont les garants – les représentants des viticulteurs et des maisons de cognac – constituera le temps fort de ce jeudi », explique Matthieu Devers, élu CGT au CSE d’Hennessy.
La mobilisation sert aussi à affirmer un rapport de force. La semaine dernière, pas moins de 500 salariés s’étaient mis en grève et avaient manifesté devant la maison Hennessy, faisant reculer la direction. Celle-ci voulait envoyer le cognac en vrac en Chine afin de contourner les barrières douanières touchant spécifiquement les eaux-de-vie à base de vin, en représailles à la hausse des taxes européennes sur les véhicules électriques chinois.
« On se fait taxer à 35 % la bouteille. Par contre, au-dessus de 100 litres, la taxe tombe à moins de 10 % », décrypte Renaud Audidier. « La Chine et, demain, Trump font du protectionnisme. Nous, on subit la guerre commerciale des autres », renchérit Matthieu Devers.
Pour donner le change, la direction d’Hennessy avait promis que seuls les intérimaires seraient touchés par cette délocalisation, non les CDI, et que l’expérimentation, dans un premier temps, serait limitée à 600 000 bouteilles, dont les flacons proviendraient de France, avec leurs bouchons et étiquettes.
Une aberration tant écologique qu’économique et sociale rejetée de toute part. « Mais c’était ouvrir la boîte de Pandore. Car dans un deuxième temps, la direction escomptait mettre en bouteille en Chine plus que ce que nécessite ce marché, qui représente déjà 20 à 25 % de la consommation de cognac », assure Matthieu Devers. Pour rester concurrentielles, les autres maisons n’auraient pas tardé à imiter Hennessy. Une catastrophe industrielle et sociale pour une région où l’eau-de-vie représente 80 000 emplois directs et indirects.
« On ne pensait pas que le cognac, et en particulier cette maison vieille de deux cent cinquante ans, pourrait être délocalisé un jour, même partiellement », soupire Laurie Privé, salariée et syndicaliste à Hennessy. « On craint pour les emplois. Et on ne comprend pas non plus cette décision qui va à l’encontre de notre image de marque basée sur le savoir-faire du luxe à la française. »
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