C’est une première : la Cour des comptes a consacré son rapport annuel thématique sur l’action publique à l’adaptation au changement climatique. Paru le 12 mars, il met en évidence, selon le premier président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, que « pour certains secteurs qui relèvent de sa compétence, l’État ne joue pas autant qu’il le devrait son rôle de stratège, qui consiste à fixer des buts clairs et définir une trajectoire pour les atteindre ».
Pour évaluer l’action publique en matière d’adaptation au changement climatique, la Cour s’est basée sur les chiffres retenus par le gouvernement depuis 2023, à savoir une augmentation de 4°C à l’horizon 2100. « Ce risque est malheureusement réaliste », estime Pierre Moscovici, et il doit être pris en compte dans le nouveau Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC), prévu à l’été 2024.
La Cour des comptes a analysé, au long des 725 pages de son rapport, 16 thématiques non exhaustives mais centrales dans l’adaptation au changement climatique, et formulé 62 recommandations.
Le logement, un enjeu clé
Parmi les volets consacrés à l’adaptation du cadre de vie et aux infrastructures (adaptation des installations nucléaires, des réseaux de transports, d’électricité et ferroviaire…), le logement est l’un des enjeux clés, selon le rapport.
Les magistrats de la rue Cambon pointent que les mesures existantes, comme MaPrimeRénov’, visent à réparer et réduire les émissions de gaz à effet de serre, mais que « la rénovation énergétique ne vise pas principalement à adapter les logements au changement climatique ». Or, sur la base de l’Insee et de Météo France, le rapport affirme que « 80 % de la population vivent dans un territoire qui sera exposé en moyenne à plus de 16 journées anormalement chaudes sur les trente prochaines années ».
Des évolutions qui risquent d’accroître, si les logements ne sont pas adaptés, les recours à la climatisation. Une mal-adaptation flagrante, selon le rapport, conduisant à des augmentations de la facture énergétique, l’accroissement des émissions de gaz à effet de serre et une hausse des effets des îlots de chaleur urbains. Autres risques, les inondations, ainsi que le gonflement des sols argileux qui entraînent des sinistres structurels, avec « plus de la moitié des maisons individuelles qui sont situées dans des zones moyennement ou fortement exposées ».
Face à ces risques, la Cour préconise l’intégration des procédés de protection solaire aux rénovations énergétiques, de soutenir la recherche et les expérimentations, et de sensibiliser le grand public aux risques. Dans le cas des villes et de l’aménagement urbain, le rapport insiste sur la nécessité de planification en associant les collectivités, ainsi que sur l’augmentation de la surface des espaces verts.
La Cour des comptes s’est également penchée sur l’environnement naturel, les personnes et les activités, notamment la santé des personnes vulnérables, la gestion du trait de côte, les stations de montagne ou encore l’agriculture céréalière. Pour cette dernière, alors que la France en est « le principal producteur au niveau de l’Union européenne » et exporte la moitié de sa production, les cultures sont particulièrement vulnérables au changement climatique. Une vulnérabilité accrue par la dégradation de qualité des sols et l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des événements climatiques extrêmes.
La Cour souligne l’existence de leviers techniques et recommande le soutien financier et les labellisations des expérimentations. Mais elle indique également, à l’instar du rapport du Haut Conseil pour le climat de janvier 2024, que « des habitudes, normes ou intérêts croisés freinent les transformations systémiques nécessaires », alors que les risques pèsent sur les exploitants.
Le grand flou budgétaire
Aucune des recommandations du rapport n’a cependant été chiffrée. Selon Pierre Moscovici, une estimation de l’argent public nécessaire est « impossible aujourd’hui », en raison de l’absence de certaines données et du caractère multiforme des risques liés au changement climatique.
Avec ce rapport annuel, la Cour des comptes montre que l’enjeu climatique est désormais ancré dans la sphère publique. Toutefois, en ne l’envisageant qu’à l’aune de l’adaptation, elle alimente également une nouvelle logique, celle de « l’adaptation à », plutôt que de « la lutte contre ». Et si l’adaptation est inévitable – le changement climatique est bien là –, elle risque aussi de masquer qu’il est possible et nécessaire d’agir pour en atténuer le rythme et de le limiter.