Vous étudiez l’influence du genre dans le rapport à la politique, que vous ont appris vos travaux ?
Une partie de mes recherches portent sur l’évolution des inégalités de genre dans différentes formes de participation politique, notamment la participation électorale, depuis les années 1980. Premier enseignement, les écarts de niveaux de participation entre femmes et hommes sont réduits, voire inversés, dans les générations nées dans les années 1970, 1980 et plus récemment. Autrement dit, les femmes de ces générations votent aujourd’hui en moyenne plus souvent que les hommes de leur âge lors des élections les plus importantes (présidentielle et législatives).
En revanche, elles sont plus touchées par le phénomène du vote intermittent et se déplacent beaucoup moins pour les élections dites intermédiaires : régionales, européennes, départementales. Cette réduction, voire inversion, des inégalités de genre dans la participation électorale est clairement liée au renouvellement générationnel. Les femmes qui étaient socialisées à une époque où elles étaient encore exclues du droit de vote en France en sont durablement affectées : elles participent non seulement moins que les femmes des générations plus récentes, mais surtout que les hommes de leur âge.
Dans une autre partie de mes recherches, que j’ai menées notamment avec la chercheuse en science politique Nonna Mayer, j’ai analysé ce que l’on pourrait qualifier d’écarts genrés dans les choix de vote (gender gaps) lors des élections présidentielles. Pour cela, nous avons croisé l’âge et le genre pour l’électorat des quatre premiers candidats de la présidentielle de 2022 (Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Mélenchon, Éric Zemmour). Résultat : les jeunes femmes de 25 à 34 ans ont nettement plus de chances de voter pour Jean-Luc Mélenchon que les hommes de leur âge. Cette tendance se reflète dans d’autres pays, notamment en Allemagne, où il a été démontré que les jeunes femmes votent plus à gauche que les jeunes hommes. Reste à voir si cette tendance se poursuivra en France : nous allons devoir confirmer ces observations lors de futures élections, comme les européennes ou l’élection présidentielle de 2027.
Comment l’expliquer ?
On pourrait penser que ce « survote » est principalement lié au fait que les jeunes femmes sont en moyenne plus diplômées que les autres, mais nous écartons ce critère. En effet, le survote s’observe même à niveau de diplôme ou de revenu similaire. Selon nos recherches, il y a quelque chose de plus profond, qui est sûrement lié au fait que la socialisation de ces jeunes femmes s’est faite à une époque très marquée par les problématiques d’égalité entre les genres. Ces aspirations égalitaires sont justement portées par des candidats de gauche. Nous restons modestes dans nos conclusions. Pour confirmer la tendance générationnelle, il faut récolter des données de long terme.
Si les jeunes femmes semblent de plus en plus progressistes, certaines études pointent une forme de « backlash » (retour de bâton) antiféministe chez les nouvelles générations d’hommes : qu’en pensez-vous ?
C’est un phénomène minoritaire mais en progression, notamment chez les jeunes hommes : selon le « Baromètre » sur le sexisme publié récemment par le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, 52 % des hommes de 25-34 ans considèrent que l’on s’acharne sur les hommes et qu’il n’est plus possible de séduire une femme sans être vu comme sexiste (59 %). Il se pourrait qu’une partie de ces jeunes hommes soient attirés par un discours masculiniste, relayé notamment par les « bulles de filtres » sur Instagram, TikTok, etc., selon lequel le féminisme serait allé trop loin et qu’il serait difficile d’être un homme dans la société actuelle. Ils pourraient se sentir victimes de l’émancipation des femmes et mettre notamment sur le compte de ces dernières leurs difficultés à s’insérer dans le monde du travail.