Comme d’autres ici, Jihan a longtemps cru en la paix et à son triomphe. Cette croyance ne reposait sur rien, seulement en sa foi, et c’était bien assez. « Ça fait huit mois que je me dis tous les jours que ça va s’arrêter, que ça ne peut pas durer, raconte-t-elle abritée sous son parapluie. Sauf que chaque jour est pire que la veille et l’escalade de l’horreur prend toujours plus d’ampleur ». Autour d’elle, ce samedi 1er juin, sur la place de la République de Paris, une foule dense se forme en soutien aux Palestiniens sous le feu de l’armée israelienne à Rafah. De haut-parleurs, crépite un slogan que Jihan, qui n’avait jusqu’ici jamais épousé de cause, reprend mot pour mot : « À Gaza comme à Rafah, c’est l’humanité qu’on assassine ! ». « On croit souvent que l’on peut continuer sa petite vie comme si de rien n’était, que l’on peut compartimenter, ignorer ces images d’enfants martyrisés. Moi je n’y arrive pas, ou je n’y arrive plus, souffle la business analyst de 34 ans. D’être ici, ça ne console pas, mais au moins ça rassure. On se sent moins seuls, et on lutte pour que notre indignation soit entendue ». Le sera-t-elle ?
« On se fracture et on le doit à la passivité des gouvernements »
De la même façon, Chiara et Nina, 24 et 17 ans, viennent ici exprimer toute leur tristesse, hurler leur colère. « Ce n’est pas une guerre, c’est un génocide ! », martèle la seconde, lycéenne en région parisienne. « Il faut juste que ça s’arrête, au moins ça, prolonge la première, juriste dans le social, qui enchaîne cette semaine les mobilisations. Il faut que nos gouvernants comprennent qu’il existe une réelle émotion. Moi, je le vois tous les jours sur les réseaux et c’est vraiment impressionnant : des gens qui sont habituellement passifs affichent un engagement en story (publication éphémère, NDLR). Il se passe quelque chose et ça ne vient pas de nulle part, vraiment ! ». Plus loin, Hikram, 28 ans, travailleuse sociale et militante communiste, fait le même constat, mais s’inquiète : « Tout le monde monte en tension, chacun rejoint un camp. Sur les réseaux, certains demandent de concentrer les regards sur Rafah et d’autres demandent où étaient leurs yeux le 7 octobre… J’ai des amis qui ne se parlent plus à cause de ça. Comme si on ne pouvait pas s’indigner des deux ! On se fracture tous et on le doit à la passivité des gouvernements ».
Des fumigènes éclatent, verts, rouges, la foule frappe dans ses mains aux rythmes de chants antifascistes, Emmanuel Macron est dénoncé pour sa lâcheté… « On ne dirait pas, mais ce n’est pas une manif comme une autre », prévient Zaïn, 20 ans, étudiant en mathématiques à Jussieu. Bien sûr, ce n’est pas la première fois qu’il vient « soutenir inconditionnellement » la Palestine et son « peuple opprimé » contre le massacre perpétré par le gouvernement d’extrême droite de Benyamin Netanyahou. Mais cette fois, il sent un vent nouveau, une « rage » plus grande encore. « Quand j’entends Emmanuel Macron dire qu’il ne faut pas céder à l’émotion en reconnaissant l’État de Palestine, ça me rend fou, dit-il. D’abord, nous aurions dû le faire depuis des années. Et puis il ne s’agit pas que d’émotions, nous ne sommes pas des êtres hypersensibles, on parle de mettre fin à l’inhumanité ! Ça me dégoûte de le voir donner des leçons alors qu’il laisse faire depuis le début. Cette situation, la France en est aussi complice ». À ses côtés, Louis, camarade de classe, souffle : « Notre président n’entend que les chiffres, alors on est venu lui en amener un. Combien on est aujourd’hui ? Le peuple est dans la rue pour dire son dégoût du silence et de l’inaction de son propre pays ».
Dans les cortèges, le drapeau palestinien n’est pas le seul à défier le gris du ciel. Il y a ceux des antifascistes, venus saluer la mémoire de Clément Méric, tué il y a onze ans pratiquement jour pour jour dans la capitale par des skinheads, mais aussi le drapeau kanaky, porté fièrement par Toa, 30 ans. « On peut croire que c’est un drôle de mélange pas très cohérent, mais ce n’est pas le cas, démine-t-il immédiatement, tout sourire. Nous nous battons tous contre les injustices, l’impérialisme, la colonisation, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, et l’extrême droite. L’heure est grave partout et le sursaut est loin. Il va falloir une jeunesse mobilisée pour faire face à tous les défis. Il semble que la réponse ne puisse venir que de la rue ». Et toujours pas de plus haut.
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