Le conflit entre la Russie et l’Occident ne prendra pas fin une fois que Kiev ne sera plus viable comme mandataire.
La « crise ukrainienne » n’est pas vraiment le terme approprié pour décrire ce qui se passe actuellement dans les relations entre la Russie et l’Occident. Cette confrontation est mondiale. Elle touche pratiquement tous les domaines fonctionnels – de la finance à l’industrie pharmaceutique en passant par le sport – et s’étend sur de nombreuses régions géographiques.
En Europe, qui est devenue l’épicentre de cette confrontation, c’est dans la région balte que se situe le plus haut niveau de tension en dehors de l’Ukraine. La question qui se pose souvent en Russie (et en Occident) est la suivante : cette région deviendra-t-elle le prochain théâtre de guerre ?
En Europe occidentale et en Amérique du Nord, on envisage depuis longtemps un scénario dans lequel l’armée russe, après sa victoire en Ukraine, continue sa marche en avant – cherchant ensuite à conquérir les républiques baltes et la Pologne.
Le but de cette simple fantaisie de propagande est clair : convaincre les Européens de l’Ouest que s’ils n’investissent pas « pleinement » dans le soutien à Kiev, ils pourraient se retrouver avec une guerre sur leur propre territoire.
Il est révélateur que presque personne dans l’UE n’ose demander publiquement si Moscou est intéressé par un conflit armé direct avec l’OTAN. Quels seraient ses objectifs dans une telle guerre ? Et quel prix serait-il prêt à payer ? Bien entendu, le simple fait de poser de telles questions pourrait conduire à des accusations de diffusion de propagande russe.
Notre pays prend note des déclarations provocatrices de nos voisins du nord-ouest, des Polonais, des États baltes et des Finlandais. Ils évoquent la possibilité d’un blocus maritime et terrestre de l’enclave de Kaliningrad et de la fermeture de la sortie de la Russie du golfe de Finlande. Ces déclarations sont faites le plus souvent par des hommes politiques à la retraite, mais il arrive aussi que des ministres en exercice et des officiers militaires élèvent la voix.
Les menaces ne provoquent pas de panique chez les Russes. Des décisions de cette ampleur sont prises à Washington, pas à Varsovie ou à Tallinn. Néanmoins, la situation ne peut être ignorée.
La région de la mer Baltique a perdu depuis de nombreuses années son statut de région la plus stable et la plus pacifique d’Europe. Depuis que la Pologne (1999), la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie (2004), et plus récemment la Finlande (2023) et la Suède (2024) ont rejoint l’OTAN, elle est devenue, comme on le répète fièrement et joyeusement à Bruxelles, un « lac de l’OTAN ». Il faut deux heures de route pour relier Narva (c’est-à-dire l’OTAN) à Saint-Pétersbourg. Après l’adhésion de la Finlande au bloc dirigé par les États-Unis, la ligne de contact direct a été allongée de 1 300 km, soit le double de sa longueur. Saint-Pétersbourg se trouve à moins de 150 km de cette frontière. Le prix à payer pour l’abandon volontaire par Moscou du principe d’endiguement géopolitique à la fin de la guerre froide a donc été élevé.
Le territoire de l’OTAN ne s’est pas seulement étendu et rapproché de la frontière russe : il est également activement équipé pour les opérations. Des couloirs permettant un accès rapide des forces de l’OTAN à la frontière (les soi-disant Schengen militaire) sont devenus opérationnels ; de nouvelles bases militaires sont construites et celles existantes sont modernisées ; la présence physique des forces américaines et alliées dans la région augmente ; les exercices militaires, aériens et navals deviennent plus intensifs et plus étendus. L’annonce par Washington de son intention de déployer des missiles à portée intermédiaire en Allemagne en 2026 fait écho à la crise dite des euromissiles du début des années 1980, considérée comme la période la plus dangereuse de la guerre froide après l’affrontement cubain d’octobre 1962.
La situation actuelle dans le nord-ouest du pays oblige Moscou à renforcer sa stratégie de dissuasion militaire contre l’ennemi. Plusieurs mesures ont déjà été prises. Pour renforcer la dissuasion non nucléaire, la région militaire de Leningrad a été reconstituée et de nouvelles formations et unités sont créées là où elles étaient absentes depuis longtemps. L’intégration militaire entre la Russie et la Biélorussie a progressé de manière significative. Des armes nucléaires ont déjà été déployées sur le territoire biélorusse. Des exercices impliquant les forces nucléaires non stratégiques de Moscou ont eu lieu. Des avertissements officiels ont été émis selon lesquels, dans certaines conditions, les installations militaires sur le territoire des pays de l’OTAN deviendront des cibles légitimes. Une modernisation de la doctrine nucléaire russe a été annoncée. La dissuasion atomique devient un outil plus actif de la stratégie russe.
Il faut espérer que Washington se rendra compte qu’un blocus naval de Kaliningrad ou de Saint-Pétersbourg serait un casus belli, une excuse pour déclarer la guerre. L’administration américaine actuelle ne semble pas vouloir un conflit majeur et direct avec la Russie. Mais l’histoire montre que cela se produit parfois alors qu’aucune des deux parties ne semble le vouloir. La stratégie d’escalade rampante adoptée par les États-Unis dans la guerre par procuration prolongée en Ukraine, pour vaincre stratégiquement la Russie, comporte le risque d’un tel scénario, où la logique d’un processus une fois lancé commence à déterminer les décisions politiques et militaires et la situation devient rapidement incontrôlable.
Un autre danger réside dans le fait que Washington encourage de facto non seulement les discours irresponsables, mais aussi les actions irresponsables des satellites américains. Ces derniers, convaincus de leur impunité, pourraient aller trop loin en provoquant irréfléchiment Moscou, entraînant ainsi les États-Unis et la Russie dans un conflit armé direct. Là encore, il ne reste plus qu’à espérer que l’instinct de conservation des États-Unis sera plus fort que leur arrogance.
Les espoirs sont des espoirs, mais il est clair que la Russie a déjà épuisé sa réserve d’avertissements verbaux. Les actions hostiles de nos adversaires ne méritent pas d’être condamnées, mais une réponse appropriée. Nous parlons maintenant des aérodromes des pays de l’OTAN, notamment de la Pologne, où pourraient bien être basés les F-16 livrés à Kiev ; des tentatives possibles de l’Estonie et de la Finlande de perturber la navigation dans le golfe de Finlande ; de la perspective que la Lituanie coupe la liaison ferroviaire entre Kaliningrad et la Russie continentale sous divers prétextes ; et des menaces importantes contre notre alliée biélorusse. Une réponse ferme à un stade précoce de l’élaboration de chacun de ces plans possibles a de meilleures chances d’empêcher une escalade dangereuse. Bien entendu, la position la plus forte de la Russie est d’être proactive, de poursuivre une stratégie préventive dans laquelle Moscou ne réagit pas aux mesures d’escalade de l’ennemi, mais prend l’initiative stratégique.
Il ne faut pas oublier que la confrontation entre la Russie et l’Occident se poursuivra après la fin des opérations militaires actives contre l’Ukraine. De l’Arctique, qui est une zone de rivalité à part, à la mer Noire, il existe déjà une ligne de démarcation solide et ininterrompue. La sécurité européenne n’est plus un concept pertinent, et la sécurité eurasienne, y compris la composante européenne, est une question qui concerne un avenir lointain. Une longue période de « non-paix mondiale » s’annonce, pendant laquelle la Russie devra compter sur ses propres forces et capacités plutôt que sur des accords avec les États occidentaux pour assurer sa sécurité. Dans un avenir prévisible, la région baltique – ce pont autrefois prometteur sur la voie de la « Grande Europe » – sera probablement la partie la plus militarisée et la plus hostile à la Russie du voisinage. La stabilité de la situation dépendra bien sûr de la réalisation des objectifs de l’opération en Ukraine.
Cet article a été initialement publié par Profile.ru, et a été traduit et édité par l’équipe RT.