Englos (Nord), envoyé spécial.
Le crépuscule n’est tombé que depuis une poignée d’heures, mais la foule s’amasse déjà devant le gigantesque bâtiment circulaire. Il est à peine 21 heures ce samedi, mais à Englos, banlieue lilloise, personne ne veut rater l’avant-dernière soirée de la mythique discothèque le Macumba. Le couperet était tombé en janvier. À l’issue de deux soirées de festivités, les 22 et 23 février, la dernière boîte de nuit de cette chaîne de discothèques, qui en comptait à ses heures de gloire 23 en France (et deux en Espagne et Suisse), fermera définitivement ses portes, laissant derrière elle des souvenirs de danses endiablées et un tube musical de Jean-Pierre Mader. « Cela va être une belle nuit, mais vu le nombre de personnes qui attendent, tout le monde ne pourra pas rentrer », redoute Dimitri Derepas, directeur d’exploitation de la boîte lilloise. À peine arrivé sur place, le voilà qui distribue les dernières consignes aux salariés. Les semaines passées n’ont pas été simples.
Emblème des festivités nocturnes en France, le Macumba baisse le rideau après quasiment cinquante ans d’existence. Lancé en 1975 – dans la foulée des succès engrangés par les premières chaînes à Montpellier en 1965 et Mérignac en 1973 – par le duo d’entrepreneurs Henri Souque et son beau-frère Jean Calvo, l’établissement lillois acquiert une renommée nationale dès ses débuts.
Au point de voir les décors nordistes apparaître dans le tournage du film le Corps de mon ennemi, avec Jean-Paul Belmondo, en 1976 ou plus récemment dans l’Amour ouf, de Gilles Lellouche. « J’aime dire que c’est une belle histoire. On a commencé avec un tournage, on finit avec un autre. La boucle est bouclée », se réjouit le directeur en lançant un regard vers un homme menu au visage affable.
Il s’agit d’Henri Souque. Discret, l’octogénaire a d’abord tenté de chercher un repreneur à son établissement, après soixante ans de carrière. Mais, faute de candidats, le fondateur de la boîte à disco a finalement décidé de la vendre à un promoteur immobilier. « Ce n’est pas très facile de vendre une discothèque. Surtout à l’heure actuelle où ce n’est pas ce qu’il y a de plus à la mode. Et puis, un gros fonds de commerce, il faut trouver les financements », explique Henri Souque.
« Sincèrement, je ne sais pas encore ce que je vais faire »
Sauf que cette cessation d’activité s’accompagne du licenciement économique de la trentaine de salariés en poste. Alors que la fête a démarré, Cédric, un barman volubile, ne cesse de faire des allers-retours pour servir les clients. Les lumières rouges, violettes et bleues diffusées par les lasers géants révèlent quelques rides sur son visage. Arrivé il y a un an et demi, il soufflera ses cinquante bougies le 22 mars, avec la crainte de pointer chez France Travail. « J’ai reçu ma lettre de licenciement la semaine dernière. Sincèrement, je ne sais pas encore ce que je vais faire. Il serait facile de proposer mes services pour un autre club mais pour quelle paie ? » s’interroge celui qui touche environ 1 500 euros net pour 28 heures par semaine.
Sur les coups de minuit, il est l’heure pour les disc-jockeys du Macumba de faire rugir la foule au rythme de plusieurs musiques célèbres à travers leurs platines. Avec une capacité d’accueil de plus de 1 000 personnes en une seule soirée, grâce à ses deux salles pour les « vieux » et les « jeunes », les ambiances s’entremêlent. I Follow Rivers de Lykke Li, Coup du marteau de Tam Sir ou encore le fameux Macumba de Jean-Pierre Mader sont joués d’une salle à une autre. Timéo et Mathéo, âgés de 18 ans et habitués à écouter du rap, profitent pour la première fois des festivités. « C’est la dernière, on ne pouvait pas la manquer ! » lancent-ils.
L’allégresse se ressent à travers la boîte. Les soirées au Macumba ont marqué des vies. C’est le cas de Denis, 50 ans, et de Delphine, 44 ans. Lui, chemise ouverte, elle, haut noir, affichent des sourires complices au centre de la piste de la « salle des vieux ». « On s’est rencontrés ici, il y a trois ans et demi. J’ai tout de suite su que c’était la femme de ma vie », confie l’agent SNCF. « Nous sommes tristes que cela ferme. Voici un lieu où personne ne se juge. Je ne pense pas retrouver d’espace comme celui-ci ailleurs », abonde la chargée de clientèle au Crédit agricole.
À quelques pas du couple se trouve également Brigitte. Cette préparatrice de commandes de 50 ans est venue honorer la mémoire de son grand frère et de sa grande sœur décédés la même année. « Le Macumba a été la première boîte que nous avons partagée. S’ils avaient été encore en vie, nous aurions passé un moment exceptionnel », confie-t-elle, la tête plongée dans les souvenirs. Ses amis lui adressent des sourires chaleureux. Au Macumba, elle ne dansera plus aucun soir.
Avant de partir, une dernière chose…
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