Il est 17 heures, ce lundi 13 janvier, à la chambre 7 de la section du commerce au conseil des prud’hommes de Paris, quand les quatre juges sont invités à scruter une vidéo. L’air un peu réjoui, sans doute parce que ça les sort de la litanie des plaidoiries dans les dossiers précédents…
Ce sont des images de vidéoprotection, extraites par la multinationale néerlandaise 2theloo, sous-traitante de la SNCF notamment pour la gestion de ses toilettes dans les gares. Elles doivent servir de preuves irréfutables et sont les pièces à conviction d’un larcin crapuleux, voire d’un hold-up ignoble : le 23 novembre 2023, à la gare Montparnasse de Paris, une pièce d’un euro aurait été escamotée par une femme de ménage.
Licenciée sans ménagement, ni indemnités
Las ! Devant l’ordinateur du cadre de 2theloo présentant les enregistrements, les juges haussent, puis froncent les sourcils… Révélée, fin mars 2024, par l’Humanité, l’affaire avait fait grand bruit : pour avoir empoché – ou pas – un euro dans les toilettes où elle officiait en tant qu’« hôtesse d’accueil et de nettoyage » pour 2theloo, Sarah1, 54 ans, salariée au Smic et mère isolée de deux enfants, avait été licenciée sans ménagement, ni indemnités, pour faute grave.
Selon la femme de ménage, c’était un pourboire, mais pas pour la direction du sous-traitant de la SNCF qui prétend voir un vol. « Avec l’Humanité, puis la reprise par le journal télévisé de France 2, c’est devenu une histoire un peu électrique », concède Me Hélène Noé, l’avocate de la multinationale, interpellée avant sa plaidoirie par Patrick Grillot, le président du conseil de prud’hommes.
Dans une affaire où les dispositifs de vidéosurveillance ont pu être détournés de leurs finalités, Richard Bloch, défenseur syndical CGT, agissant ce lundi au nom de Sarah et d’une autre collègue, elle aussi licenciée pour faute grave par 2theloo à la même époque, attaque bille en tête. Selon lui, tout le système vidéo dans les toilettes, au bout du quai 24 de la gare Montparnasse, n’a pas été dûment présenté aux représentants des salariés. Le panonceau qui annonce le dispositif de vidéoprotection renvoie à des tiers qui n’ont rien à voir ni avec 2theloo, ni avec son prestataire.
Plus gênant encore : « Rien n’est respecté en matière d’habilitation, avance Richard Bloch. Les cadres de 2theloo ont accès aux images sur leurs téléphones portables et au siège social, il y a un téléviseur avec toutes les caméras sur les différents sites où exerce l’entreprise. » Le défenseur syndical de Sarah embraye, accusant la direction de mentir. « On nous dit que le comportement de la salariée licenciée a été repéré, au détour d’un examen des bandes sollicité parce qu’une cliente avait appelé pour qu’on retrouve des effets personnels oubliés, peut-être, dans les toilettes. »
« On parle d’ un euro ! »
L’avocate de 2theloo dira : « Oui, on recherchait une paire de chaussures. » Ce qui lui vaut une remarque de bon sens du président du conseil des prud’hommes : « Si vous cherchez un objet oublié, pourquoi vous n’appelez pas les salariés sur place pour qu’ils fassent le tour de toutes les cabines ? C’est plus efficace que de regarder une caméra vidéo qui enregistre un point fixe. »
Pour Richard Bloch, ce détournement des moyens de vidéoprotection doit permettre de faire annuler toute la procédure et de requalifier le licenciement comme sans cause réelle et sérieuse. « Aucune preuve d’un larcin n’est en réalité apportée, et je n’insiste pas sur la modicité de la somme dont on parle, un euro ! » Un peu plus tard, il ajoute : « On est sur une entreprise qui emploie environ 200 salariés, et, à l’époque où Sarah est licenciée, il y a une quinzaine d’entretiens préalables à licenciement. C’est considérable quand même… »
Pour 2theloo, Me Hélène Noé avance un scénario repéré par inadvertance sur la vidéoprotection. « À l’occasion du visionnage pour la recherche des chaussures, on observe que notre salariée a une attitude étrange devant une pièce d’un euro posée devant elle. Cela attire l’attention car elle n’est pas dans les trois attitudes prévues dans son contrat de travail : accueil, encaissement, nettoyage… »
À la barre, les magistrats, employeurs et salariés regardent les vidéos de 2theloo. Un temps, poliment, puis se lassent rapidement. Le président lâche : « Moi, je l’ai déjà dit à la SNCF, quand je prends un aller-retour à 160 euros pour Avignon, je ne vois pas pourquoi je devrais encore payer un euro pour aller aux toilettes… » Derrière l’euro disparu, un emploi s’est envolé, et c’est aussi visible sur la vidéoprotection. Prononcé le 4 mars.
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