On n’avait plus de chiffrage international de l’évasion fiscale mondiale des multinationales depuis 2019. Le bilan s’élevait alors à près de 900 milliards de {dollars}, bien plus que les 650 milliards chiffrés en 2016. L’Observatoire européen de la fiscalité, construction hébergée par l’École d’économie de Paris et dirigée par l’économiste Gabriel Zucman, a publié, lundi 23 octobre, sa nouvelle évaluation, et la barre symbolique des 1 000 milliards de {dollars} partis dans les paradis fiscaux fut dépassée en 2021 et 2022.
Une centaine de chercheurs ont été mobilisés de par le monde, souvent en lien avec les administrations fiscales, pour aboutir à ce chiffrage. « Ce rapport va constituer un très bon outil pour confronter les promesses des politiques avec la réalité, » résume Sabine Portela, de Solidaires Funds Publiques.
Un constat pas uniquement pessimiste
« Grâce à l’échange automatique d’informations bancaires, l’évasion fiscale offshore a été divisée par trois, environ, en moins de dix ans », se réjouit ainsi le rapport. Si 10 % en moyenne du PIB mondial sont localisés dans les paradis fiscaux, seuls 30 % y restent dissimulés aux yeux des administrations fiscales.
Cela concerne principalement des biens immobiliers acquis depuis Dubaï, ou des actifs cachés dans des pays dits « non coopératifs », qui ne participent pas à cet échange automatique d’informations bancaires. « Nous avons vraiment plus d’informations sur les patrimoines des ménages, ce qui était dissimulé dans des établissements bancaires, typiquement en Suisse, confirme Laurent Perin, délégué CGT funds publiques. C’est une vraie avancée en matière de transparence et de traçabilité des montages. Cela montre aussi que, quand il y a de la volonté politique, les choses avancent. »
Rien ne va plus, en revanche, quand il s’agit des transferts de bénéfices des multinationales. Celles-ci ont réalisé 2 800 milliards de {dollars} de bénéfices en 2022 et 35 % de cette somme, soit 1 000 milliards, ont été dirigées vers des paradis fiscaux. Les géants nord-américains sont responsables d’environ 40 % de ces transferts.
À pressure de baisser constamment l’impôt sur les sociétés (- 8 factors en cinq ans, en France), les gouvernements rognent eux-mêmes leurs propres recettes. Cette concurrence fiscale est particulièrement vaine, puisque l’argument libéral traditionnel, qui pointe qu’il y a évasion fiscale automobile les impôts sont trop élevés, ne résiste pas à la réalité : malgré la baisse constante des prélèvements sur les entreprises, la fuite des earnings reste constante (autour de 35 %), et son quantity augmente.
Pire, elle a lieu au cœur de l’Europe. « L’inaction de l’UE pose un vrai problème : 56 % du montant complete des bénéfices transférés vers les paradis fiscaux à échelle mondiale passent par des pays européens, les Pays-Bas et l’Irlande en tête », dénonce Laurent Perin. Le rapport le confirme : pour les bénéfices des multinationales, les paradis fiscaux européens sont les plus nocifs, bien devant les locations financières asiatiques.
Des années de négociations à l’OCDE, et pour quoi ?
Ce rapport arrive quelques jours après que 140 pays, sous la houlette de l’OCDE, ont bouclé la rédaction d’une conference, qualifiée par ses auteurs d’« historique », pour combattre « l’évasion fiscale des multinationales ». Si, à l’origine, ces négociations avaient suscité quelques espoirs, comme la création d’un impôt plancher de 15 % sur les bénéfices des grands groupes, ceux-ci ont été sérieusement douchés depuis, à renfort de dérogations et de niches fiscales.
« Il y a une exonération dite pour substance, qui revient à dire que, plus une entreprise a d’implantations réelles dans les paradis fiscaux, plus elle pourra sortir de bénéfices de l’assiette de cette taxe minimale à 15 %, illustrait ainsi Gabriel Zucman, en exemple, sur France Inter, lundi matin. Cela devient une incitation à délocaliser de l’activité en Irlande, en Suisse ou aux Pays-Bas… ».
Un prélèvement sur les bénéfices supérieurs à 10 % de marge des plus grosses multinationales est aussi prévu dans cet accord de l’OCDE, mais avec tellement de dérogations qu’il est privé de tout intérêt. Cette taxe devrait rapporter autour de 17 milliards d’euros, qui iront pour l’essentiel aux pays riches.
On comprend que les pays du Sud traînent des pieds, d’autant que, s’il est ratifié, cet accord va interdire toute possibilité de fiscalité spécifique sur les multinationales, comme la taxe Gafam française, mais aussi celles qui existent au Nigeria ou dans d’autres pays africains, qui devront être abrogées. « À chaque fois qu’on émet une règle en matière de fiscalité, on prévoit des dérogations pour la contourner, soupire Sabine Portela. Et même dans les pays à fiscalité réduite, comme les paradis fiscaux africains ou asiatiques, il est prouvé que les populations ne bénéficient pas du tout des richesses attirées, qu’il n’y a aucune redistribution. »
Taxer les milliardaires et les autres options
La première des préconisations de ce rapport est de fixer un impôt minimal sur les bénéfices de toutes les entreprises à 25 %, sans exception. Le calcul est facile : il permettra de récupérer 250 milliards de recettes fiscales chaque année, soit bien au-delà de ce que l’OCDE espère récupérer si l’accord est un jour ratifié.
C’est qu’il est pressing de mettre un terme à la concurrence fiscale. « La France, avec ses dispositifs comme le crédit impôt recherche, s’inscrit dans cette dynamique de dumping. Et le gouvernement vient encore de supprimer la CVAE pour les entreprises. Nous faisons partie du problème », déplore Laurent Perin. L’idée de la création d’un cadastre financier fait aussi l’unanimité.
L’Observatoire européen de la fiscalité insiste aussi fortement sur les milliardaires. Ces 2 756 ultrariches ont, en effet, des taux d’imposition effectifs « allant de 0 à 0,5 % de leur patrimoine, en raison de l’utilisation fréquente de sociétés écrans pour échapper à l’impôt », pointe le rapport. Une ponction de 2 % sur leur fortune rapporterait 214 milliards de {dollars}, suggère ainsi l’observatoire. « La proposition est spectaculaire, c’est sûr, reconnaît Sabine Portela. Mais pourquoi s’arrêter à ces 2 700 personnes ? Une progressivité accrue de l’impôt et retour d’un véritable ISF seraient bien plus équitables. »