Ce piquet de grève est très sûrement le plus morose des 117 jours qui composent leur lutte. Depuis le mardi 16 avril, les salariés de MA France ont cessé de contrôler, assembler et souder des pièces automobiles dans cette usine d’emboutissage. Puis, le couperet tombe un mois plus tard, le 13 mai.
Ce sous-traitant de Stellantis, qui souhaite délocaliser sa production en Turquie, a été placé en liquidation judiciaire par le tribunal de commerce de Bobigny. Résultat : un aller direct à France Travail pour 280 salariés en CDI et 120 à 150 intérimaires. Pugnaces, les travailleurs maintiennent la grève dans une usine laissée à l’abandon, vidée de ceux qui la font fonctionner.
Les grévistes de MA France (ex-Magnetto), condamnés au licenciement, déplorent un absent autour de la table. L’âme en peine, ces derniers rapportent « le cri du cœur », « l’appel au secours » et « l’acte de détresse » d’un de leurs camarades. Ce matin du lundi 12 août, il s’est aspergé de pétrole, le liquide foncé dégoulinant jusqu’à ses pieds. Une famille à nourrir, des prêts à honorer, le versement incertain de son salaire et une lutte acharnée face à une direction « silencieuse et méprisante », décrite par les grévistes, l’ont poussé à un geste de désespoir.
Selon les personnes présentes, il se serait pudiquement confié « je n’arrive plus à vivre ». Il tente de se suicider devant l’entreprise contre laquelle il se bat depuis plus de quatre mois. Ses camarades cégétistes, dans la hâte, lui ont retiré casquette, sacoche et tout ce qui pouvait être inflammable.
« Un réel PSE et un départ digne »
« On a eu peur qu’il ait un briquet sur lui », souffle Hamid Kamouchi, anciennement manager à MA France. L’usine se trouve être hautement inflammable, des bidons d’huile, de gaz et des bobines aussi coupantes qu’un rasoir y sont encore stockés – intactes, comme si elle n’avait jamais cessé de fonctionner. Mais le pire a été empêché. « Le désespoir de ne pas se faire entendre est d’une telle violence… », compatit Nicolas Pereira, secrétaire général de l’UL de Roissy, venu en soutien.
Quelques heures plus tôt, le représentant du liquidateur s’est présenté aux grilles et a expliqué « répertorier et saisir du matériel dans les locaux en échange du paiement du salaire des représentants syndicaux -n’étant pas licenciés- », explique l’un d’eux, le cégétiste Adel Zorgui. Propos auxquels Zohra Abdallah, secrétaire de l’UL CGT de Sevran et solidaire des grévistes, « ne croit pas une seule seconde !, s’exclame-t-elle. Ils veulent probablement récupérer le matériel pour leur délocalisation en Turquie. » C’est en cela qu’elle qualifie cette manœuvre de « chantage et de mensonge établie ».
D’autant plus qu’Adel Zorgui et d’autres élus accusent des retards de paiement pour leur salaire, les plongeant dans une situation financière inconfortable. Une épaisse odeur d’huile flottant dans l’air, ce dernier désigne du doigt les moules « que le liquidateur aurait voulu emmener ». Empilés et délimités en rangée, leur prix s’élève à 150 000 euros l’unité. Contactée, l’étude en question n’a pas répondu à nos sollicitations.
Les grévistes ont ensuite bloqué le passage au représentant du liquidateur, l’empêchant d’accéder au site. Ce barrage formé à partir de voitures garées en quinconce devant l’entrée ne sera pas levé « tant que nous n’aurons pas de réponse satisfaisante à nos revendications », selon leurs dires. Elles demeurent les mêmes depuis le début de la grève : le reclassement des salariés et une prime supra-légale à hauteur de 70 000 euros, votée en assemblée générale. 86 des 280 salariés ont accepté la proposition de la direction de 15 000 euros.
Les autres réclament « un réel PSE et un départ digne », revendique Hamid Kamouchi. Après 23 ans passés dans l’entreprise, il déplore : « je ne me suis pas autant donné pour être viré comme un moins que rien. Ici, on sacrifie des vies sur l’autel du profit ». Des pancartes ornent toujours cette zone industrielle, sur l’une d’elles : « Carlos Tavares, tu mets 280 familles au chômage ».
Pour rappel, le patron de Stellantis a empoché 36,5 millions d’euros de salaire, au titre de l’exercice 2023. Près de 200 salariés attendent encore de recevoir leur prime supra-légale, maigre sésame de départ après leur licenciement.
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