Brigitte Macron serait un homme. La fake news surgit sur Facebook au printemps 2021. Son autrice : une certaine Natacha Rey. Antisystème, antivax, marquée par la crise du Covid. Seule depuis chez elle, elle se persuade que la première dame est « bizarre ». Ça l’obsède.
Alors elle enquête durant des mois, fouille la vie de l’épouse du président. Des « médias alternatifs » relaient sa thèse et une communauté de « brigittologues » autoproclamés apparaît : des ex-gilets jaunes, des naturopathes, une médium, des gens de gauche, d’extrême droite… Emmanuelle Anizon, grand reporter au Nouvel Obs, remonte le fil de cette théorie du complot dans l’Affaire Madame1, un livre qui raconte comment les failles de nos sociétés nourrissent l’ultra-défiance.
Pourquoi vous êtes-vous intéressée à cette affaire ?
Parce qu’elle est emblématique de notre époque, où la vérité n’a plus de valeur en soi. Cela part de la quête personnelle et obsessionnelle de Natacha Rey. À la fin, cela oblige la première dame à porter plainte et à s’exprimer à la télévision. Je m’y suis intéressée aussi parce qu’il y a une gêne dans les rédactions.
Nous avons longtemps regardé cette montée de la défiance de loin, parce que c’est un peu moche et qu’on ne veut pas donner de l’importance à cela. Mais les défiants sont de plus en plus nombreux, nous en avons tous dans nos entourages, à tous les niveaux de la société. Alors que répondre ?
Vous utilisez le terme de « défiants ». Pourquoi ?
Le terme permet d’éviter de dire « complotiste », qui sous-tend un jugement. Dans mon enquête en immersion, mon but était de comprendre ces gens. Il y a cinquante nuances de défiance : ils ne sont pas tous d’extrême droite, certains sont à gauche, d’autres ne votent pas. Pour Natacha Rey, la question est d’être pro- ou anti-système.
Le brouillage est total, et ce serait se tromper que d’analyser encore ces espaces-là par le prisme du clivage gauche-droite. Autour de cette fake news, il y a le compte Twitter de Zoé Sagan, proche de l’avocat classé à l’extrême gauche Juan Branco, comme Xavier Poussard qui travaille pour Faits & Documents, classé à l’extrême droite.
Tous ces gens se retrouvent dans la défiance vis-à-vis des élites : politiques, médiatiques, économiques, institutionnelles. Et dans un même rejet d’une mondialisation qui leur donne la sensation que les repères et les valeurs s’effondrent, et qu’il faut donc entrer en résistance.
Pourquoi cette obsession autour du genre de Brigitte Macron ?
Pour les défiants, c’est le symbole ultime du dévoiement sexuel des élites. Je parle dans le livre d’une internationale des complots : on retrouve les mêmes théories de transitions de genre cachées aux États-Unis avec Michelle Obama, en Espagne avec l’épouse de Pedro Sanchez, et même en Nouvelle-Zélande.
« Pourquoi autant de gens, de tous les âges et milieux sociaux, y compris diplômés, sont persuadés qu’on leur ment et qu’on leur veut du mal ? »
Emmanuelle Anizon, grand reporter au Nouvel Obs
Les défiants se défendront toujours d’être transphobes, homophobes ou sexistes. Mais ils parlent tout le temps de décadence, d’inversion des valeurs, de satanisme parfois… Natacha Rey, elle, est obsédée par le fait qu’on puisse mentir à la population, y compris sur le genre de Brigitte Macron. Cela doit nous interroger.
Pourquoi autant de gens, de tous les âges et milieux sociaux, y compris diplômés, sont persuadés qu’on leur ment et qu’on leur veut du mal ? Il y a une faillite collective de notre société, qui a laissé s’installer cette idée qu’il y a en haut un petit monde qui a toujours été protégé.
Les défiants sont persuadés que la justice est à deux vitesses, et ce n’est pas toujours faux. Qu’il y a de l’impunité chez les puissants, et ce n’est pas toujours faux. Cela doit nous conduire à être plus exigeants en matière d’exemplarité. Si nous ne nous penchons pas sur le sujet, si nous nous contentons de caricaturer ces personnes, on ne résoudra pas la question de la défiance, au contraire.
Votre livre est à la fois l’histoire d’une fake news et le portrait de ceux qui l’ont diffusée. Qu’est-ce que cela fait de se confronter à une personne comme Natacha Rey ?
Natacha Rey est sincère dans sa quête de vérité, cela a été ma première découverte. Elle n’est ni manipulée, ni inscrite dans un système politique. Elle a compulsé énormément de documents et est allée jusqu’aux archives d’Amiens (où est née Brigitte Macron – NDLR). Le problème, évidemment, c’est qu’elle interprète tous les signes et tous les silences comme la preuve d’un mensonge.
Tout vient nourrir sa thèse. Si Brigitte Macron est un homme, il lui faut trouver la vraie mère des enfants, alors elle va sur Google et cherche au hasard des personnes qui portent le nom d’Auzières (le nom de l’ex-mari de la première dame – NDLR). Cela devient irrationnel.
Via Natacha Rey, on découvre un monde parallèle…
Oui, Natacha Rey est seule au départ et son « enquête » lui a fait découvrir un monde qui a ses propres médias, ses « journalistes » vedettes comme Mike Borowski ou la Suissesse Chloé Frammery. Elle a été suivie par des centaines de « brigittologues » qui ont tous leur thèse. C’est aussi un monde violent. Natacha est elle-même accusée par certains de faire partie de « l’opposition contrôlée ». C’est-à-dire qu’elle aurait inventé ce complot sur Brigitte Macron pour détourner les vrais « résistants » d’un complot encore plus énorme…