Si la mémoire ouvrière était une religion, son lieu de pèlerinage serait sans doute aux abords de la bourse du travail de Lille, dans le quartier Fives. Une statue de 1,80 mètre en hommage aux victimes de l’amiante, œuvre de l’artiste local Jean-Marc Demarcq, prend place à côté d’une plaque à la mémoire des résistants de l’usine Fives Cail Babcock, dont le nom a inspiré le lieu.
C’est dans les locaux de la bourse, dont l’appellation a été modifiée au gré des fusions d’entreprises, que les huit organisations syndicales ont pris place pour constituer un foyer d’écoute et de conseil.
Depuis octobre 2012, la CGT, FO, l’Unsa, la FSU, Solidaires, la CFDT, la CFTC et la CFE-CGC sont réparties sur les trois étages, autrefois bâtiment administratif de Fives. Leur quotidien n’est plus rythmé par les sirènes industrielles mais, ces derniers temps, par les appels à se mobiliser contre l’extrême droite, organisés à la hâte lors des dernières semaines avant les élections européennes puis législatives.
Loin du centre, loin des travailleurs
Au premier étage, celui réservé à la CGT, Franck Deglave, secrétaire général pour les territoriaux de Villeneuve-d’Ascq, et Mathias Wattelle, secrétaire général de l’union locale de Lille, se pressent pour réunir les chasubles, les banderoles et préparer une camionnette, indispensable pour rallier le centre-ville.
Il leur faut une dizaine de minutes pour rejoindre la porte de Paris, le départ du parcours. Avant qu’ils ne déménagent dans le quartier historiquement ouvrier et populaire de Fives, les syndicats disposaient d’un local en ville, rue Barthélémy-Delespaul. Cela dit, il était « vieillissant et insalubre, se souvient Mathias Wattelle. Maintenant que le bâtiment abrite le tribunal administratif, il est tout beau, tout neuf. On aurait voulu y rester s’il y avait eu des travaux de ce type. »
Éloigner les syndicats, une « décision politique »
Les négociations ont duré cinq ans et il a été décidé qu’ils iraient s’installer dans le quartier excentré de Fives, situé derrière le périphérique, peu accessible en transports en commun et avec peu de places de stationnement.
Françoise Wellecam, secrétaire générale de l’Union locale de Lille pour FO, avait remarqué une chute de la fréquentation au moment de leur installation, rattrapée depuis par la popularisation de l’utilisation des e-mails – qui évitent les problèmes de parking ou de bus.
« C’était une décision politique de la part de la municipalité de nous installer en dehors du centre-ville », affirme le cégétiste Mathias Wattelle. Martine Verdonck, syndicaliste à Solidaires, acquiesce : « On a voulu nous planquer loin de Lille, stratégiquement. On est comme enfermés dans une souricière. »
Cette professeure dans le secteur privé fait référence au jour où les organisations syndicales ont bloqué un pont à proximité, pendant la lutte contre la réforme des retraites de 2023. Les forces de sécurité les ont alors nassés « sans que nous n’ayons aucune sortie possible à cause de la configuration du territoire », se remémore-t-elle.
Le pire emplacement pour les travailleurs mais le meilleur pour le symbole de l’héritage ouvrier
La localisation est à la fois le pire des emplacements pour répondre aux besoins de travailleurs lillois et le meilleur pour symboliser l’héritage ouvrier, la lutte des classes et des combats pour le progrès social. Selon les archives de FO, en 1950, 6 000 ouvriers y ont vendu leur force de travail pour la fabrication des rails, des bouches d’égout parisiennes, des ascenseurs de la tour Eiffel et, notamment, de la structure du musée du Quai d’Orsay.
Françoise Wellecam, du haut du troisième étage, dispose d’une vue plongeante sur le parvis de l’ancien lieu de production d’acier, fondé en 1861. « L’usine Fives Cail Babcock, l’un des plus gros employeurs de la région, a fermé ses portes en 2001, en laissant à l’abandon un vaste site à la triste image de la désindustrialisation », écrit Danielle Tartakowsky dans son ouvrage les Syndicats en leurs murs.
Pierre De Geyter, ouvrier à l’usine Fives compositeur de l’Internationale
D’un côté, se dressent d’anciens bâtiments aux briques rouges locales et des hangars laissés en friche. De l’autre, un écoquartier, des commerces et une ferme urbaine côtoient une fresque, peinte à même les briquettes, de Pierre de Geyter.
Ce membre du Parti ouvrier de France et modeleur à l’usine Fives a composé la musique de l’Internationale en 1888. La partition a été éditée à 6 000 exemplaires, signée simplement « De Geyter » pour éviter toutes représailles. Pas suffisant pour le patronat, désireux d’éliminer toute résistance : le compositeur de ce chant, symbole des luttes sociales, fut licencié. À moins d’un kilomètre de l’usine, devenue la bourse du travail, une place porte son nom.
Le lieu de nouvelles luttes
L’usine abrite d’autres luttes, plus récentes. De fin octobre 2012 à début janvier 2013, ses locaux ont accueilli « plus de 100 Roms expulsés d’un camp précédemment dressé sur un parking de l’université Lille-I », relate Danielle Tartakowsky.
Ce sont des étudiants de SUD Solidaires qui ont eu l’idée de les héberger dans l’ancienne usine, faute de mieux. « Leurs logements ont été détruits par la police… C’était en plein hiver, il s’agissait de familles avec des enfants, on ne pouvait pas les laisser à la rue », soupire Martine Verdonck, de la tristesse dans la voix.
Elle désigne la salle de réunion du premier étage où ils se sont en partie installés. Elle glisse : « On a cédé à notre syndicat la partie la plus restreinte du bâtiment car nous ne sommes soi-disant pas assez représentatifs. »
2001 : fermeture de l’usine Fives Cail Babcock.
2012 : installation des syndicats de la bourse du travail dans les locaux de cette ancienne usine réhabilitée.
2013 : accueil d’une population rom dans l’enceinte du bâtiment, soutenue par Solidaires et la CGT.
Mais Solidaires est très rapidement rejoint par la CGT dans son combat contre la pauvreté. La salle polyvalente du rez-de-chaussée est transformée en dortoir de fortune et une autre pièce sert de cantine. FO, s’en tenant à sa neutralité politique historique, n’a pas pris part à l’opération.
Françoise Wellecam, du syndicat, adopte une posture distancée : « Après leur départ, nous avons fait passer un huissier pour constater les dégâts matériels : l’état du bâtiment était catastrophique. »
Les locaux de l’ancienne usine ont donc été réhabilités pour accueillir la bourse du travail, puis réparés au fur et à mesure des luttes sociales qui s’y tenaient.
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