La panthéonisation de Missak et Mélinée Manouchian et des 23 autres résistants « étrangers, et nos frères pourtant » de l’Affiche rouge, est un acte de justice et de reconnaissance, tardif bien sûr, mais bienvenu surtout. « Ce sont bien les résistants étrangers et communistes que le pays célèbre » écrit « Le Monde ». Articles, débats, documentaires, livres, apports historiques se sont succédé. Ils nous ont permis de renouer avec ce que l’histoire de France a produit de meilleur, même si ce meilleur s’est épanoui dans les conditions épouvantables de la barbarie nazie, de l’Occupation et de la collaboration.
Pendant quelques jours, on a parlé des valeurs de la Résistance, mais aussi de la flamme toujours incandescente de la Révolution de 1789. On a parlé engagement antifasciste et communiste, luttes sociales et internationalisme, universalisme, courage et solidarité humaine. On a parlé d’une France ouverte au monde à partir de ses valeurs historiques, de ses luttes syndicales et politiques et de son rayonnement culturel porté par sa Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. C’est pour elle que des milliers de femmes et d’hommes de toutes nationalités ont pris des risques majeurs, jusqu’à trop souvent y perdre la vie. C’est elle qui, pendant cette trop courte parenthèse, a imprégné le débat public. Pour un temps, un vent de chaleur humaine et de fraternité a semblé l’emporter et rayonner sur notre pays. Le vol des corbeaux en a été comme suspendu.
Depuis quand cela ne nous était-il pas arrivé ? Pourquoi devrions-nous cacher qu’avec toute l’émotion et la réflexion qu’il génère, ce moment nous fait du bien ? « Ils joignaient dans leur cœur l’espoir du temps qui vient/Et qui salue même de loin un autre temps. (…) Ils n’étaient que quelques-uns/Ils furent foule soudain », écrit Paul Eluard, en 1944. Il ajoute « Ceci est de tous les temps ». De tous les temps en effet et du nôtre aussi, dont le principal problème semble être d’avoir perdu « le chemin de la lumière » cher à Missak le poète, perdu cette certitude de beaux lendemains qui faisaient dire à des résistants, juste avant que les balles ne les atteignent : « Nous vaincrons quand même. »
Bien sûr, entre eux et nous beaucoup de choses se sont passées, pas forcément les meilleures, de la révélation des crimes staliniens aux dégâts provoqués par les cultes des personnalités et les distances souvent considérables entre les discours et les actes. S’ensuivirent l’effondrement de l’URSS et des systèmes dits du « socialisme réel » et le désarroi de nombre d’héritiers et d’héritières des valeurs de la Résistance. La force et l’unité des combats pour un monde meilleur se sont disloquées. « Il faut y voir clair et lutter sans défaut », disait aussi Paul Eluard.
Mais, pour le plus grand nombre, c’est un brouillard épais qui aujourd’hui domine tant sur les causes et mécanismes de ce qui nous arrive que sur les moyens d’y remédier. C’est aussi pour cela que le moment que nous venons de vivre est précieux. Il met au premier plan les valeurs collectives d’émancipation et de solidarité humaine, il valorise l’engagement sans compromission au service de convictions clairement affirmées. Il nous parle d’espoir. « Bonheur à tous ceux qui nous survivront », écrivait Missak Manouchian, dans sa dernière lettre. Rendre le bonheur possible dans le monde d’aujourd’hui, c’est ce que nous lui devons ainsi qu’aux dizaines de milliers d’autres, « Morts pour la France ».