Près de 400 personnes ont manifesté, ce vendredi 7 mars, dans les rues de la préfecture de Seine-Saint-Denis, à l’appel de plusieurs collectifs de Sans-papiers et d’organisations solidaires des personnes étrangères. Membre du comité national de la LDH et militant du Réseau éducation sans frontières (RESF), Jean-Michel Delabre insiste sur l’aggravation de la précarité à laquelle contraignent les étrangers l’application de la loi Darmanin et la circulaire Retailleau.
Qu’est-ce qui a motivé l’organisation de la manifestation du vendredi 7 mars à Bobigny ?
La préfecture de Seine-Saint-Denis, et un peu le cœur des difficultés rencontrées par les étrangers dans ce département qui en compte le plus grand nombre de tout le territoire français. Lors de notre audience, ce jeudi 6 mars, les services préfectoraux nous ont confirmé qu’ils traitent plus de demandes que partout ailleurs de dossiers d’étrangers, qu’ils soient en situation régulière ou qu’ils aspirent à le devenir, Malheureusement, ce n’est pas la préfecture qui a le plus de moyens pour le faire, et c’est un des problèmes que nous dénonçons. Les ressources humaines limitées entraînent des délais d’attente interminables et des conditions de traitement des dossiers souvent inacceptables.
Quels étaient les grands mots d’ordre de la mobilisation ?
Nous avons souhaité pointer les dérives récentes qui touchent aussi bien les étrangers en situation régulière que ceux qui ne parviennent pas à se faire régulariser. Ils rencontrent deux types de difficultés. Il y a d’abord, ceux qui ne parviennent pas à obtenir de titre de séjour alors qu’ils ont entamé des démarches depuis pratiquement un an et demi à deux ans. Et puis, s’ajoute maintenant avec la circulaire Retailleau sortie en janvier, le blocage des régularisations au titre de l’admission exceptionnelle au séjour. Les dossiers ne donnent plus lieu à aucun rendez-vous, ni à aucune remise de titres. Cela met fin aux perspectives que pouvaient avoir un certain nombre d’étrangers en fonction de leur situation, qu’ils soient salariés, parents d’enfants scolarisés, conjoints d’étrangers en situation régulière, ou jeunes majeurs dans les lycées. Toutes ces catégories espéraient pouvoir être régularisées au titre de l’admission exceptionnelle au séjour et voient cette perspective s’éloigner considérablement.
On leur dit aujourd’hui qu’ils n’auront pas de réponse et que s’ils veulent espérer quelque chose, il faudra redéposer un dossier. Ce dossier sera analysé par les services préfectoraux non plus au titre de l’admission exceptionnelle au séjour, mais au titre du droit commun, avec des chances beaucoup plus limitées d’obtenir un titre de séjour. Cela concerne des milliers de personnes. La préfecture dénombre 18 000 dossiers de demande au titre de l’admission exceptionnelle au séjour. Autant de personnes qui se voient ainsi renvoyées vers une situation insupportable de précarité sociale.
A cela s’ajoute la crainte même de se déplacer vers les services préfectoraux…
Les étrangers craignent de venir y déposer leur dossier car avec le durcissement des conditions de régularisation ils savent qu’ils risquent un refus de séjour, qui s’accompagne automatiquement d’une obligation de quitter le territoire français (OQTF). Cette obligation est valable trois ans et peut être utilisée comme motivation pour un nouveau refus de séjour si la situation de la personne n’a pas changé. Cela devient une sorte de peine à perpétuité, une OQTF à vie. C’est complètement insupportable.
Cette situation ne risque-t-elle pas de favoriser une forme d’exploitation de la précarité des personnes étrangères ?
Absolument. C’est pour elles une question de survie. Encore plus de personnes qui auraient pu être régularisées vont se retrouver à la merci d’une exploitation sur les lieux de travail ou par des logeurs indignes, par exemple. Beaucoup travaillent déjà et vont être encore plus vulnérables. Ils auront du mal à vivre de manière décente, à élever leurs enfants, et parfois même à manger à leur faim. Cela représente un risque d’aggravation de la précarité et de l’exploitation sous toutes ses formes. Nous sommes confrontés, par ailleurs, à un autre problème en rapport direct avec les objectifs de la loi Darmanin et de la circulaire Retailleau : la population étrangère en situation régulière se trouve fragilisée et déstabilisée. Les systèmes mis en place, fondés essentiellement sur la dématérialisation, s’accompagnent d’un déficit de moyens humains dans les préfectures et sous-préfectures. Beaucoup d’étrangers ne réussissent pas à renouveler leur titre de séjour dans les délais nécessaires, se retrouvant rejetés vers la précarité, privés de leurs droits sociaux, et menacés dans leur stabilité professionnelle. Les préfectures affirment vouloir lutter contre les ruptures de droit, mais les moyens pour y arriver ne suivent pas. L’administration numérique des étrangers en France (NEF) traite une partie de ces dossiers, mais elle est souvent dysfonctionnelle et manque de transparence. Le dialogue avec l’administration est, de plus, pratiquement impossible, et les services préfectoraux sont visiblement débordés.
Quel impact cette situation a-t-elle sur le reste de la population du département ?
Les sentiments de la population sont assez partagés. On ne peut pas s’étonner que, même dans un département comme le nôtre, certaines idées xénophobes aient progressé. Certains étrangers eux-mêmes peuvent penser qu’il ne faut pas en accueillir davantage. Mais en même temps, il y a une solidarité qui s’exprime dans les quartiers et les écoles, vis-à-vis des familles touchées. Par exemple, autour de la sous-préfecture de Saint-Denis, un collectif s’est formé, rassemblant des militants associatifs, des étrangers concernés, et des habitants du quartier. Cette forme de solidarité, nous essayons de la multiplier et de lui donner une expression dans nos manifestations. Ce sera encore le cas lors de la grande journée du 22 mars, dans le cadre de la semaine contre le racisme, une semaine de mobilisation nationale sur ces questions.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
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En donnant des clés de compréhension et des outils aux salarié.es pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.
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