Les surtaxes américaines sur les importations chinoises et européennes doivent entrer en vigueur ce mercredi aux États-Unis. Comment expliquez-vous le comportement erratique des marchés boursiers ?

Dany Lang
Maître de conférences à l’université Sorbonne Paris Nord
Le mini-krach de lundi 7 avril n’est pas surprenant et constitue la suite logique des barrières douanières mises en place par Donald Trump. En tant qu’économiste postkeynésien, je soutiens l’idée de barrières douanières tant qu’elles restent des outils au service d’une politique. Mais, dans le cas de Trump, elles sont une fin en soi et ne s’accompagnent d’aucune stratégie industrielle, écologique ou sociale.
Lorsque les tarifs douaniers ont été utilisés comme un outil du XIXe siècle jusque dans les années 1980, c’était pour protéger une industrie définie comme prioritaire. La mesure supposait aussi la mise en place de subventions à cette filière. C’est exactement ce que Trump ne fait pas. Il érige même des barrières douanières contre l’avis des acteurs des secteurs concernés aux États-Unis. C’est le cas des constructeurs automobiles américains.
Ces barrières sont l’expression d’une volonté de puissance qui s’accompagne de revendications sur le Groenland, le Canada, les terres rares… Mais il n’y a pas de rationalité économique à ces décisions. C’est ce qui inquiète les marchés boursiers.
L’objectif de Trump n’est-il pas de relocaliser les activités dans son pays ?
Pour faire cela, il faudrait mettre aussi en place une stratégie d’accompagnement des secteurs jugés prioritaires, avec des financements conséquents. Les usines ne tombent pas du ciel ! Il faut du temps pour qu’elles commencent à produire. Or, Trump applique des barrières douanières sur des produits où il n’y a aucune solution de substitution. Ce faisant, il ne va obtenir qu’un résultat : l’augmentation des prix aux États-Unis. Tout cela n’a aucun sens.
Le protectionnisme n’a de vertu que s’il est un outil au service d’une politique industrielle ou agricole, d’une politique écologique et sociale. Or, l’écologie, Trump s’en fiche. L’industrie, il ne sait visiblement pas ce que c’est. Et pour le social, son but est de protéger uniquement ses électeurs blancs qui craignent le déclassement.
Assiste-t-on à la fin de la mondialisation ?
Que la mondialisation marque le pas, c’est une bonne nouvelle. Il n’y a aucun sens écologique ni social à confier la production des cornichons, que nous cultivions et que nous consommons en France, à des paysans indiens mal payés, alors que les Indiens n’en mangent pas.
La mondialisation actuelle consiste surtout à réduire les coûts de main-d’œuvre. Dans ce cas, ériger des barrières douanières fait sens. Les agriculteurs ont raison : il faut arrêter d’importer des produits qui contreviennent à nos normes environnementales, sanitaires et sociales.
La mondialisation libérale, comme achèvement du capitalisme, asservit les producteurs du Sud au profit de consommateurs du Nord qui ont de moins en moins les moyens. Tant mieux si elle recule. Mais tout dépend par quoi elle est remplacée.
Quelle devrait être la réaction de l’Union européenne ?
Elle devrait cesser d’être plus royaliste que le roi et renoncer à se porter à la pointe du libre-échange dans toutes les arènes politiques. Ce faisant, elle nous empêche de figurer dans la compétition internationale en suivant les mêmes règles que les autres pays.
Il faut arrêter de placer la politique de la concurrence au-dessus de toutes les autres. L’un des enjeux actuels, c’est le numérique. Du fait de nos règles de libre concurrence, nous achetons nos ordinateurs à des sociétés américaines. Nos logiciels et services numériques sont fournis par des sociétés américaines.
Nos données figurent sur des clouds américains. L’UE devrait au contraire favoriser l’émergence de géants européens, tout en instaurant des barrières douanières et sociales afin d’éviter la vente chez nous de produits fabriqués par des ouvriers mal traités et qui ne respectent pas nos normes environnementales.
Or, l’UE fait exactement l’inverse en revenant sur les rares mesures courageuses qu’avait mises en place l’ancien commissaire Thierry Breton, comme les directives relatives au devoir de vigilance des entreprises et à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.
Comment l’Europe devrait-elle se positionner vis-à-vis de la Chine ?
Là encore, avec sa libre concurrence, l’UE ne joue pas le même jeu que la Chine qui a toujours favorisé ses propres productions et ses capacités industrielles. Je ne pense pas que les produits chinois vont déferler sur l’Europe à cause des barrières tarifaires érigées par Trump. Ses produits déferlent plutôt au Brésil. La crise Covid nous a montré qu’il faudrait produire localement.
Certains secteurs ont commencé à le faire. Mais, depuis, c’est de nouveau « business as usual » (« les affaires continuent » – NDLR). Ce qu’impose Trump nous oblige à revoir nos filières. Ne pas agir maintenant, c’est prendre un retard irrémédiable, alors que nous sommes déjà à la traîne. L’Europe sera-t-elle capable de le faire ? Jusqu’à présent, le principal frein était l’Allemagne, qui s’était tournée vers les exportations, notamment vers la Chine.
Cette période est révolue. Les Chinois n’ont plus besoin de nos produits et ont pris de l’avance sur la voiture électrique. Il faut donc réfléchir à une relance interne à l’Europe. Le futur chancelier allemand, Friedrich Merz, semble avoir compris que l’époque de l’accumulation des excédents commerciaux est révolue. Mais va-t-il pousser à la production européenne ?
Qu’en est-il de Paris ?
Nos gouvernants croient aux vertus du libre-échange et de la mondialisation. Ils forment la queue de comète du néolibéralisme. Si elle le décidait, la France pourrait impulser une politique industrielle et remettre en place une véritable planification. C’est maintenant qu’il faut le faire. Mais ce n’est pas dans le vieux logiciel de nos dirigeants actuels.
La crise boursière peut-elle se muer en crise économique généralisée ?
Si la Chine poursuit ses mesures de rétorsion, il n’est pas exclu que les marchés financiers s’effondrent. Le problème n’est pas économique, mais politique. Trump ne met en œuvre aucune théorie économique rationnelle. Il est encore plus irrationnel que les marchés !
Nous assistons à la fin des illusions concernant « la fin de l’histoire », avec le néolibéralisme au centre de tout. La question est de savoir ce qui adviendra. Le meilleur n’est pas certain, mais le pire n’est pas nécessaire. Les citoyens doivent se ressaisir de la question politique pour faire advenir un futur plus désirable.
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