Alors que la fibre optique poursuit son déploiement, les dysfonctionnements ne diminuent pas, au contraire même. Comment l’expliquez-vous ?
Pascal Le Lausque
Représentant de la branche des télécoms de la CGT FAPT
Le problème, c’est l’organisation du système. Que ce soient les opérateurs d’infrastructure, qui installent les réseaux, ou les quatre opérateurs commerciaux, qui assurent le déploiement jusqu’aux abonnés – tous usent et abusent de la sous-traitance. On peut avoir jusqu’à six rangs de sous-traitance, depuis le donneur d’ordre jusqu’au technicien qui intervient chez l’usager. Avec, en bout de chaîne, des gens pas formés. Les droits et garanties des salariés sont abaissés via une mise en concurrence des sous-traitants, au lieu d’assurer des emplois stables et qualifiés.
L’Arcep, le « gendarme » des télécoms, affirme pourtant avoir pris des mesures pour limiter le recours à la sous-traitance à tous les étages…
Dans les faits, ce n’est toujours pas le cas. On voit sur le terrain un nombre important d’autoentrepreneurs et de microentreprises, mais aussi des sans-papiers et des travailleurs détachés. Plusieurs scandales liés à l’installation de la fibre optique ont éclaté ces dernières années.
Et le redéploiement du marché, il y a deux ans, par Orange, l’opérateur historique, a encore chamboulé le secteur. On a vu arriver de grosses entreprises, comme Vinci, qui n’étaient jusqu’alors pas présentes sur le secteur des télécoms. Elles ne peuvent pas prétendre tout faire, donc sous-traitent. Et chaque intermédiaire se prend une marge.
Ce système dilue les responsabilités. Quelle serait la solution ?
Nationaliser la pose de la fibre, avec une seule entreprise pour faire les raccordements des opérateurs commerciaux. Il n’y aurait pas de dumping social, cela permettrait d’avoir du personnel embauché et formé dans de bonnes conditions. On parle de réindustrialiser la France ? C’est l’occasion.
« Avec les autoentrepreneurs, il n’y a pas de licenciements, pas d’indemnités. »
Le problème, c’est encore une fois le modèle économique fondé sur une stratégie de rentabilité financière et de réduction des coûts supportée par les salariés ?
On revient toujours aux mêmes causes : la libéralisation du secteur ouvert à la concurrence et la recherche du profit sur le dos des salariés. Aujourd’hui, ces autoentrepreneurs situés en bout de chaîne sont payés au branchement. Plus ils font de raccordements, plus ils sont payés.
Mais ce n’est ni fait ni à faire. Mais ce ne sont pas eux les responsables. Ce sont les donneurs d’ordre, les sous-traitants de rang 1 qui se sont approprié le marché pour le redistribuer en prenant une marge confortable. Cela entraîne un vrai dumping social. Dangereux, qui plus est : là où les techniciens étaient deux, au départ, à intervenir, il n’y en a plus qu’un seul. Ce qui les met en danger. Il y a eu deux décès de techniciens dans le Sud-Est : ils sont intervenus trop près des lignes haute tension, et sans protection.
La sous-traitance, c’est aussi une solution pour se séparer des salariés à moindre coût…
Le plan de déploiement est censé être achevé en 2030, avec la fermeture du réseau cuivre. À cet horizon, et peut-être même avant, il n’y aura plus besoin, en principe, d’autant de techniciens. Les entreprises l’ont anticipé. Le fait de sous-traiter leur permettra de se débarrasser plus facilement des travailleurs.
Avec les autoentrepreneurs, il n’y a pas de licenciements, pas d’indemnités. Idem pour beaucoup de petites entreprises qui vont en faire les frais. C’est un marché éphémère dans lequel les grosses entreprises en quête de rentabilité se sont engouffrées, d’autant qu’il y a des subventions publiques à prendre au passage.