Voilà, c’est presque fini. Pratiquement trois mois jour pour jour après sa nomination à Matignon, Michel Barnier affrontera, ce mercredi 4 décembre, une motion de censure de la gauche. Selon toute vraisemblance, celle-ci mettra fin à ses fonctions de premier ministre. Même si, invité des journaux télévisés de 20 heures de TF1 et France 2 ce 3 décembre à 20 h, celui-ci a dit encore croire en un « réflexe de responsabilité » des parlementaires. En particulier du RN, envers lesquels il a multiplié les clins d’œil, avec une certaine dramaturgie. Déposée à la suite du déclenchement du 49.3, ce lundi 2 décembre, pour faire adopter le budget de la Sécurité sociale, elle sera discutée par l’Assemblée nationale dès 16 heures.
Si elle est adoptée, le gouvernement tombe. La Macronie y voit le signe de l’apocalypse. « Je suis navrée, affligée, inquiète et angoissée », confie Constance Le Grip, députée Ensemble pour la République (EPR) des Hauts-de-Seine. « Je suis triste pour la France ! se désole Sylvain Maillard, ex-chef des parlementaires macronistes. La gauche et l’extrême droite appliquent une stratégie de pompiers pyromanes. Les conséquences seront terribles sur le fonctionnement de l’État. »
C’est oublier bien vite que cette chute marque avant tout l’échec du camp présidentiel. Celui du premier ministre, d’abord, qui, à trop jouer avec la flamme du Rassemblement national, a fini par s’y brûler. Celui de son « socle commun », hostile aux propositions de la gauche, pourtant prête au compromis, pour bâtir un budget de justice sociale. Et surtout, celui du président de la République lui-même, coupable d’avoir piétiné le vote du 7 juillet en ignorant le Nouveau Front populaire (NFP), force arrivée en tête, pour préférer un brinquebalant alliage conservateur promis à l’autodestruction.
« Le général de Gaulle, lui, a eu le courage de démissionner »
« Emmanuel Macron a perdu son défi et le bloc central a échoué », constate le député GDR Nicolas Sansu. « Cette défaite est celle d’une politique obtuse, alors qu’elle est délétère économiquement, socialement et écologiquement, souligne Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologiste et Social. Malgré le constat négatif, le camp du président pense que sa politique doit primer. C’est désastreux. » L’avis est partagé chez les députés FI : « Ceux qui créent le chaos politique, c’est le chef de l’État et son gouvernement ! » tranche leur cheffe de file, Mathilde Panot.
Même à droite, l’identité du responsable de cette situation fait pratiquement consensus. « Que les macronistes condamnent à certains moments le comportement de Marine Le Pen ou de Jean-Luc Mélenchon, je peux l’entendre, mais qu’ils admettent d’abord leur propre responsabilité dans ce chaos. Ce sont eux qui nous ont amenés dans cette situation, peste David Lisnard, maire LR de Cannes et président de l’Association des maires de France. Nous sommes dans une immense crise politique parce qu’Emmanuel Macron et son camp ne sentent pas le pays. Dans cet état d’agonie, si rien ne change, c’est une crise de régime qui nous attend. »
D’où une petite musique qui monte, même du côté de la droite et du centre, pour une démission du président, souhaitée par 63 % des Français, selon un récent sondage Elabe. « Qui est à l’origine du chaos politique ? s’est d’abord interrogé Charles de Courson, rapporteur général du budget et député Liot, la semaine dernière. C’est bien le président de la République, lorsqu’il a fait cette dissolution que même ses propres amis n’ont pas comprise. En temps de crise politique, qu’a fait le général de Gaulle ? Lui, il a eu le courage de démissionner. »
Rapidement, Jean-François Copé, maire LR de Meaux et ancien ministre de Nicolas Sarkozy, lui a emboîté le pas : « Il n’y a plus qu’une solution, c’est une nouvelle élection présidentielle. Il faut qu’elle soit anticipée. Il ne peut pas tenir jusqu’en 2027. C’est impossible. »
Il a été aussi rejoint, ce lundi, par Hervé Morin, président centriste de la région Normandie et ex-ministre de Nicolas Sarkozy : « Nous allons progressivement vers de l’instabilité gouvernementale, des crises politiques qui vont se succéder. Au bout du compte, il n’y aura qu’une solution pour mettre le pays dans le bon sens et avancer : faire appel aux Français. Avec un président de la République qui remet sa démission, une élection présidentielle anticipée, et des législatives dans la foulée, pour redonner au pays un gouvernement stable. »
Ces appels rejoignent ceux d’une partie de la gauche, en particulier de la France insoumise, investie depuis des semaines dans l’organisation d’une élection présidentielle anticipée. « La chute du gouvernement n’est qu’une étape, note Clémence Guetté, vice-présidente FI de l’Assemblée nationale. La démission d’Emmanuel Macron est la seule façon de sortir de la crise politique. »
L’avenir du « socle commun » en question
Dans l’entourage du chef de l’État, où l’on parle désormais « d’offensive du RNFP », rappelant l’emploi du sigle « UMPS » par le RN dans d’autres temps, on balaie fermement cette possibilité. On dénonce des appels lancés par des « ingénieurs du chaos » et une opposition « coalisée pour torpiller l’exécutif sans dire aux Français qu’une démission ne changerait rien ». « Une démission n’enclencherait pas de dissolution de l’Assemblée nationale. S’il y a un nouveau président, il devra donc faire avec la même Assemblée, donc avec le même bazar. Ce qu’ils veulent, c’est plonger le pays dans le chaos, pas l’en sortir », fulmine un des proches d’Emmanuel Macron.
Même état d’esprit du côté du groupe EPR. « Dans un contexte d’instabilité généralisée, il nous reste un seul pôle de stabilité, c’est le président de la République. Il n’y a que lui qui peut redonner un mouvement, un souffle. Alors, gardons ce pôle de stabilité », supplie un député macroniste qui précise que cette question n’a cependant pas été abordée en réunion de groupe.
En attendant l’après-Macron, le « socle commun » prépare l’après-Barnier en ordre dispersé. Chez les macronistes, après avoir fricoté avec le RN, on cherche désespérément de nouveaux alliés pour se maintenir au pouvoir. Pourquoi pas à gauche désormais ? « Les socialistes doivent venir travailler avec nous ! lance Sylvain Maillard. Nous sommes au minimum dans la même chambre jusqu’au milieu de l’année prochaine. Le rôle des socialistes est de participer à un socle commun. Peut-être pas de rejoindre le gouvernement, mais au moins de participer à nos travaux. »
« Depuis 2022, nous avons demandé inlassablement l’élargissement de la base sur laquelle peut s’appuyer un gouvernement en créant un espace allant de la social-démocratie à la droite, nous continuons de le faire », prolonge Laurent Marcangeli, député corse Horizons.
Tandis qu’au Modem, on pousse sans surprise le profil de son président, François Bayrou, pour prendre la suite de Michel Barnier. « On peut imaginer un équilibre gouvernemental et parlementaire qui prendrait appui sur la social-démocratie, la droite républicaine, EPR, Horizons et quelques Liot. Ça fait une majorité ça ! » veut croire, optimiste, Erwan Balanant, député Modem.
La piste des référendums
Sauf que les députés « Les Républicains », eux, sont déjà nombreux à s’interroger sur leur place au sein de cette coalition. « Au départ, nous n’avions pas la prétention d’aller à Matignon. Notre intérêt à court terme était plutôt de rester dans notre coin et de prendre le temps de nous reconstruire, observe Thibault Bazin, député LR de Meurthe-et-Moselle. Nous avons rejoint ce socle parce que le premier ministre était l’un des nôtres, sinon nous n’y serions pas allés. »
Dans cette situation, quelle suite imaginer pour la présidence d’Emmanuel Macron ? Peut-il encore s’extirper du marécage dans lequel il est ui-même envasé ? « Toute tentative de sauver sa façon de gouverner est vouée à l’échec, c’est un véritable crépuscule ! tranche David Lisnard. La dernière chance, pour éviter la paralysie, c’est que le président s’engage à gouverner par des référendums autour de mesures fortes. »
« La première étape, c’est l’adoption du budget de la Sécurité sociale. Michel Barnier peut encore ne pas être censuré, répond-on autour du président. Une fois que son sort sera acté, cette question se posera peut-être. » C’est oublier que si le premier ministre est censuré, le texte tombe aussi. Il faudra alors à la Macronie être particulièrement inventive pour revenir d’entre les morts.
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