Faire l’austérité, mais sans le dire : pour résorber le déficit public, l’exécutif annonce de nouvelles coupes claires dans les dépenses, tout en refusant obstinément d’appeler un chat un chat. Mieux, Bruno Le Maire s’efforce de rassurer les Français, en sous-entendant qu’ils ne subiraient pas le contrecoup des 10 milliards d’euros d’économies décrétées. « Je veux vraiment préciser ce point, pour nos compatriotes, souligne le ministre de l’Économie. Ce n’est pas la Sécurité sociale qu’on va toucher, c’est l’État qui va faire un effort immédiat de 10 milliards d’euros. » Miracle de la communication politique : à écouter le ministre, l’État serait une entité exogène fonctionnant en circuit fermé, dont on pourrait réduire le périmètre d’action sans produire le moindre effet sur le quotidien des citoyens.
Des conséquences très concrètes
En réalité, ces 10 milliards d’euros auront bel et bien des conséquences matérielles. Par exemple, 1 milliard d’euros va être prélevé sur le dispositif MaPrimeRénov‘ (sur 5 milliards d’euros prévus pour 2024) : lancée en 2020, cette aide publique permet aux propriétaires de financer une partie des travaux de rénovation énergétique de leur logement (isolation thermique, installation d’une pompe à chaleur, dépose d’une cuve à fioul, etc.). Le montant de l’aide est calibré en fonction des ressources des demandeurs. L’annonce de Bruno Le Maire tombe au plus mauvais moment, alors que la crise énergétique et les défis du réchauffement imposent au contraire de mettre les bouchées doubles dans la rénovation des logements.
En dépit de ses insuffisances, le dispositif a jusqu’à présent permis à environ 700 000 personnes tous les ans d’engager des travaux qui n’auraient probablement jamais été réalisés sans cela : un sondage mené par Ipsos en 2021 montrait que 71 % des bénéficiaires n’auraient pas effectué les travaux sans la prime. Par ailleurs, la Cour des comptes note que près de la moitié (46 %) des dossiers est déposée par les ménages les plus modestes, qui obtiennent 65 % du montant global des subventions.
Mais MaPrimeRénov’ n’est pas le seul poste de dépense concerné, tant s’en faut. Un décret publié au « Journal officiel » permet de prendre la mesure de l’ampleur de la purge, ministère par ministère. Et de se faire une idée des priorités politiques du pouvoir. Le ministère de l’Écologie est le plus touché, à hauteur de plus de 2 milliards d’euros (soit 20 % de l’ensemble des économies). Parmi les enveloppes rognées, le poste « énergie, climat et après-mines » perd 1,3 milliard d’euros. Autre grande victime, le ministère de l’Emploi, qui perd 1,1 milliard (dont 863 millions d’euros pour « l’accompagnement des mutations économiques », qui concerne notamment la prévention des licenciements et le reclassement de licenciés).
L’éducation victime des coupes budgétaires
De son côté, le ministère de l’Éducation nationale perdra près de 700 millions d’euros, ce qui a immédiatement fait réagir les syndicats. Des postes vont-ils encore être supprimés, alors que le manque de moyens dans les classes est déjà criant ? Interrogé, le ministère a fait savoir qu’il allait « voir quels sont les éléments sur lesquels des ajustements sont possibles », tout en assurant que le coup de serpe n’aurait aucun effet sur les recrutements. « Quelle que soit la traduction de ces coupes budgétaires, cette décision est scandaleuse : on retire de l’argent à l’éducation nationale à un moment où elle en a urgemment besoin », dénonce dans « Le Monde » Sophie Vénétitay, du Snes-FSU.
En attendant, il y a quelque chose de paradoxal à voir un gouvernement supposément tourné vers « l’avenir » tailler dans des dépenses concernant l’éducation et la transition énergétique… Les oppositions n’ont d’ailleurs pas manqué de réagir. Sur le procédé utilisé, d’abord : au lieu de passer par un décret, l’exécutif aurait très bien pu opter pour un projet de loi de finances rectificative, estime ainsi Éric Coquerel, député LFI. « La décision de faire passer des modifications d’une telle ampleur par la voie réglementaire est un déni démocratique », martèle-t-il.
Sur l’argumentaire gouvernemental, ensuite. « Je le dis à Bruno Le Maire, indique Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, sur RTL. S’il cherche 10 milliards d’euros, je peux lui dire où aller les chercher, en allant ponctionner les 100 milliards d’euros versés aux actionnaires en 2023. À 10 %, ça représente 10 milliards d’euros, sans pénaliser l’action publique, ni les Français. » Le raisonnement a peu de chances de séduire le gouvernement, bien décidé à ne pas augmenter les impôts, surtout ceux pesant sur les entreprises et les plus fortunés.
Les résultats mirifiques du CAC 40 épargnés
Il y aurait pourtant du grain à moudre. Les entreprises du CAC 40 ont annoncé des résultats mirifiques au cours des dernières semaines, au-delà des 140 milliards d’euros de bénéfices cumulés. De quoi relancer la piste d’une taxation exceptionnelle. « La France est un des seuls grands pays européens à ne pas avoir mis en place une forme d’impôt sur les superprofits, note l’économiste Dominique Plihon, membre du conseil scientifique d’Attac. L’Italie, l’Espagne et même l’Allemagne ont mis en place une taxation exceptionnelle sur ces bénéfices qui ne sont pas justifiés par des innovations ou la progression de l’activité, mais qui doivent tout à la capacité des grands groupes à imposer des hausses de prix. »
Le gouvernement a déjà laissé entendre que les 10 milliards d’euros de coup de rabot pourraient potentiellement être suivis d’une autre purge austéritaire, si le déficit ne se résorbait pas assez vite. « C’est une politique suicidaire, martèle l’économiste Éric Berr. Le gouvernement réduit les dépenses publiques alors qu’il faudrait justement soutenir la demande, dans un contexte de ralentissement économique. » Au passage, l’économiste note que les mauvaises performances de la France, entérinées par la récente révision à la baisse du taux de croissance par le gouvernement, étaient inéluctables : « Comment voulez-vous relancer la croissance lorsque la visibilité des entreprises se dégrade et que le pouvoir d’achat des ménages est plombé ? »