« Où est Steve ? » De façon un peu surprenante, c’est la question qui a largement mobilisé le tribunal correctionnel de Rennes, au premier jour du procès du commissaire divisionnaire Grégoire Chassaing, poursuivi cette semaine pour homicide involontaire, après la mort par noyade de Steve Maia Caniço, le 22 juin 2019, lors de la Fête de la musique à Nantes. « Où est Steve ? »
La question était rapidement devenue un slogan, dans les manifestations contre les violences policières organisées après la disparition du jeune homme, dont le corps ne fut retrouvé qu’un bon mois plus tard, flottant dans la Loire, à demi immergé.
Steve a-t-il chuté par inadvertance, ou à cause de l’action des policiers ?
Elle s’est invitée à plusieurs reprises, lundi 10 juin, dans la salle 101 du tribunal. Car si le moment précis de la chute de Steve est attesté par la fin du bornage de son téléphone à 4 h 33 et 14 secondes, l’endroit exact où se trouvait l’animateur périscolaire de 24 ans sur le quai Wilson est lui plus flou.
Était-il à distance ou à proximité immédiate de l’intervention violente des policiers menés par le commissaire Chassaing, qui débute à 4 h 31, pour répondre à la reprise de la musique sur un des « murs de son » et au « sourire narquois » d’un des DJ ?
Steve a-t-il chuté dans la Loire, comme plusieurs autres « teufeurs » ce soir-là, par inadvertance et du fait d’un barriérage insuffisant des lieux ? Ou parce qu’il était désorienté et paniqué par le nuage de lacrymogènes qui s’est abattu sur de nombreux jeunes, obligés de fuir sans aucune visibilité, pour simplement arriver à respirer ?
L’audience de ce lundi n’a pas encore offert une réponse définitive à cette question, mais elle a apporté des éléments de poids. Trois participants à la Fête, tombés eux aussi dans le fleuve ce soir-là, au moment de l’intervention policière, et repêchés in extremis par les sauveteurs, ont raconté avoir vu une personne « dériver dans la Loire, emportée par le courant ».
« Je l’ai entendue appeler à l’aide et dire ‘je ne sais pas nager’ », a même précisé Alexandre Cervantès, 28 ans. L’épaule luxée après une chute de 6 mètres dans le fleuve, le jeune cariste ne serait sans doute pas en train de témoigner dans ce procès si Jérémy Becue, 29 ans, n’avait pas tendu le bras pour l’agripper fermement, lui-même accroché à une simple corde, afin de l’extraire de ce « tapis roulant » qu’est la Loire, selon le mot d’un des sauveteurs. Si ces trois jeunes ont été projetés dans l’eau à cause de l’action policière, et que Steve y était au même moment qu’eux, l’accusation aura sans doute trouvé là de quoi conforter sa thèse…
« Je l’ai attrapé pendant deux ou trois secondes, mais ensuite, j’ai dû le lâcher »
Saisir un naufragé à la dérive, c’est ce même geste qu’a tenté Alexis Boudjema, 27 ans, avec quelqu’un dont tout porte à croire qu’il s’agissait de Steve. « Je l’ai attrapé pendant deux ou trois secondes, mais ensuite, j’ai dû le lâcher. J’ai vu la silhouette qui se débattait et qui a disparu sous l’eau. » Une fois montés dans le zodiac, tous préviendront bien que l’un d’eux « manque à l’appel », mais en vain. Si 14 personnes sont tombées dans la Loire ce soir-là, un seul ne savait pas nager : Steve Maia Caniço.
L’eau était même sa « phobie », a raconté plus tôt sa mère, Béatrice Dupas, secouée par l’émotion. « Steve qui meurt noyé, c’était le pire qui pouvait lui arriver. Cela m’a provoqué des cauchemars incessants pendant des mois », a confié la mère de famille, venue dire la peine « insoutenable » qui est celle de tous ses proches depuis ce sinistre 22 juin 2019. « Pendant des mois, je ne pouvais même plus aller sur les ponts de Nantes, parce que je ne supportais pas de voir cette Loire meurtrière », a aussi raconté Béatrice Dupas.
Pour la famille, ce procès est une souffrance de plus. Mais il est “nécessaire”
À l’entendre, cette audience, qui a débuté dans une grande dignité et sans aucune tension, ne pourra ni réparer, ni atténuer ses souffrances. « Perdre un enfant, c’est déjà très dur. Mais avoir à vivre un procès de ce type, pour des gens lambda comme nous, ça l’est encore plus. Même si c’est nécessaire », a reconnu la mère de famille, accompagnée entre autres par ses deux autres enfants, Johanna, la sœur cadette, et Carl, le benjamin.
Assurément, ce n’est pas un esprit de vengeance qui anime les proches de Steve. « On sait que ce procès ne nous redonnera pas notre fils, résume Béatrice Dupas. Mais il est important pour son honneur. Pour la suite aussi, pour qu’il y ait plus de sécurité (dans des événements comme la Fête de la musique – N.D.L.R.), et moins d’acharnement sur des jeunes qui étaient juste là pour danser. »
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