J’avais 16 ans. J’étais élève de seconde dans le seul lycée mixte de Gironde. Quelques mois après mai-juin 1968, la vie quotidienne au lycée, surtout sa discipline, avait passablement changé. Les filles pouvaient enfin porter des pantalons, et garder ouverte leur surblouse à petits carreaux, voire, peu à peu, ne plus la porter du tout. Séparée les années précédentes, la cour de récréation était devenue mixte, mettant fin à une bizarrerie puisqu’en classe filles et garçons s’asseyaient côte à côte. L’ambiance avait changé. Davantage de discussions, moins de distance entre les profs et les élèves, le sentiment d’être mieux respecté·es. Un jour, notre prof de sciences naturelles nous a présenté un cours sur lequel elle nous demandait de garder le silence. Elle risquait sa place, nous a-t-elle dit.
Ébahis, nous l’avons écoutée nous présenter les risques de « maladies vénériennes », mot dont très peu d’entre nous, en tout cas pas moi, comprenaient la signification, et qu’on appelle aujourd’hui maladies sexuellement transmissibles. À aucun moment dans notre éducation scolaire, et pour la plupart d’entre nous dans notre éducation tout court, nous n’avions, si peu que ce soit, été informés ne serait-ce que du système reproductif humain. À peine avions-nous abordé ceux des animaux et des végétaux. Ainsi, la première fois que nous entendions parler de sexualité dans le cadre scolaire, c’était, qui plus est sous le sceau d’un secret coupable, au travers des maladies qu’elle peut transmettre.
C’est la responsabilité de l’école non seulement d’apprendre aux enfants à lire et compter, mais à devenir des citoyens et citoyennes libres et responsables.
J’ignore ce qu’étaient les motivations de cette enseignante. Ce que je sais, c’est que c’était loin d’être une bonne entrée en matière, et qu’il aurait bien mieux valu que nous ayons accès à des connaissances par le biais des programmes scolaires et sans culpabilisation. Si personne de la classe n’a vendu la mèche, c’était surtout le reflet de notre malaise. D’ailleurs, nous n’en avons même pas parlé entre nous. Nous étions choqué·es, je crois. Les informations qui venaient de nous être données ne nous aidaient pas à sortir la sexualité de l’espèce d’opprobre dont elle faisait l’objet.
Pourquoi raconter cela aujourd’hui ? Parce que, cinquante-six ans après cette scène, la volonté de rendre effectifs les cours sur « la vie affective, relationnelle et sexuelle », prévus dans la loi depuis près d’un quart de siècle, continue de provoquer les foudres des forces les plus conservatrices de ce pays, parmi lesquelles les radicaux de toutes les religions, qui convergent à ce sujet alors qu’elles s’entredéchirent par ailleurs. Or, c’est la responsabilité de l’école non seulement d’apprendre aux enfants à lire et compter, mais à devenir des citoyens et citoyennes libres et responsables. Et cela commence par la connaissance de son propre corps et de son fonctionnement.
Il s’agit d’apprendre, dans des modalités adaptées à chaque âge, les aspects biologiques de la reproduction humaine, et d’en mesurer les dimensions psychologiques et émotionnelles. Il s’agit de le faire dans un cadre et des conditions respectueux de la dignité de toutes et de tous. Mieux se connaître soi-même, grandir avec son corps, mieux comprendre les autres aide aussi à mieux se faire respecter dans un pays où les violences incestueuses et sexuelles sont trop nombreuses et où la culture du viol est loin d’avoir dit son dernier mot. Alors assez d’hypocrisie, faisons la place, à l’école, à une éducation à la sexualité reposant sur des bases scientifiques et transmises avec pédagogie !
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