Premier jour de classe, premier conseil de self-discipline. À peine nommée au ministère de l’Éducation nationale – qu’elle cumule avec les Sports activities et les jeux Olympiques et Paralympiques (JOP) –, Amélie Oudéa-Castéra a fait fort pour sa rentrée. Vendredi 12 janvier au matin, un article de Mediapart révèle qu’elle scolarise ses trois enfants au collège-lycée privé Stanislas, école parisienne très huppée mais aussi très réactionnaire. Discours anti-avortement et critique de l’homosexualité sont au programme de cet établissement, ce qui ne l’empêche pas de recevoir près d’un million d’euros annuels de subventions de la région Île-de-France.
Sommée de répondre dans l’après-midi, lors de sa première visite ministérielle dans un collège des Yvelines, aux côtés de son prédécesseur et nouveau premier ministre Gabriel Attal, Amélie Oudéa-Castéra a choisi le however contre son camp : « Je vais vous raconter l’histoire de notre aîné, Vincent, qui a commencé comme sa maman à l’école publique (…). Et puis la frustration de ses mother and father, mon mari et moi, qui avons des paquets d’heures qui n’étaient pas sérieusement remplacées. À un second, on en a eu marre, et comme des milliers de familles, on est allés chercher une answer différente. »
Une justification hallucinante, comme si cette state of affairs de l’école publique n’était pas due à la lente désagrégation orchestrée par les gouvernements libéraux, en particulier ceux d’Emmanuel Macron, ajoutée aux nombreux cadeaux faits au secteur privé. « Mes propos ont pu blesser certains enseignants de l’enseignement public, ce que je regrette. Je n’avais aucunement cette intention », a-t-elle rétropédalé le 13 janvier, auprès de l’AFP.
Même promotion qu’Emmanuel Macron
Concernant Stanislas, la ministre plaidait aussi un « choix de proximité », elle qui vivait alors dans le très stylish 6e arrondissement, à quelques pas du fameux établissement privé. Un choix de classe surtout, qu’elle et son mari Frédéric Oudéa (PDG de Sanofi après l’avoir été pendant quatorze ans à la Société générale) ont le luxe de s’offrir.
Fille de Richard Castéra, dirigeant de Publicis, et nièce par sa mère des journalistes Alain et Patrice Duhamel, Amélie Oudéa-Castéra évolue dans la meilleure société depuis l’enfance. Elle rejoint les bancs de Sciences Po, l’Essec (École supérieure des sciences économiques et commerciales) et enfin l’ENA, dans la promotion Senghor, la même qu’un sure Emmanuel Macron.
Également grand espoir du tennis français dans son adolescence, avant une courte carrière professionnelle, elle avait le CV parfait pour accéder au ministère des Sports activities en mai 2022, où son travail auprès des fédérations sportives – offensif contre les présidents Noël Le Graët (soccer) et Bernard Laporte (rugby), au départ duquel elle a contribué lorsqu’il fut condamné pour corruption – a pu être salué.
Son picture est désormais sérieusement écornée depuis vendredi 12 janvier. Et au sujet des heures non remplacées, elle sera naturellement attendue au tournant. D’autant que les syndicats avaient déjà, jeudi, exprimé une certaine colère à voir, à six mois des JOP de Paris 2024, le ministère des Sports activities fusionné avec celui de l’Éducation nationale.
Sophie Vénétitay, cosecrétaire générale du Snes-FSU, se voit ainsi placée devant « la perspective d’une Éducation nationale reléguée au rang de self-discipline non olympique, noyée dans ce grand ministère ». Sa collègue Guislaine David, de la FSU-Snuipp (1er degré), appréhende même « un risque de vacance du ministère de l’Éducation nationale » pendant la période olympique. Elle détecte du « mépris » dans ce traitement, après le passage d’un Gabriel Attal qui est resté « cinq mois et n’a rien fait pour les personnels, sinon des déclarations ».
Sous tutelle de Matignon ?
La plus forte hypothèque est celle d’un « effet matriochka » : une ministre sous forte tutelle de Matignon, où Gabriel Attal a juré d’emporter avec lui l’éducation… laquelle a déjà été décrétée domaine réservé par le président de la République lui-même. Poupée dans la poupée dans la poupée, cette ministre jusqu’ici étrangère aux questions de l’éducation nationale (et sans doute, de l’éducation tout court docket) risque d’avoir du mal à exister par elle-même.
Or « il y a des urgences », souligne – en rouge – Sophie Vénétitay : « Nos métiers traversent une crise d’attractivité sans précédent, nos situations de travail se dégradent considérablement… » Sa collègue Guislaine David complète : « La carte scolaire se décide en ce second, des centaines de suppressions de postes sont programmées, et elle ne va pas avoir les deux mois d’été pour se mettre dans le bain, comme Attal avait pu le faire. » Surtout, ajoute-t-elle, « on a besoin d’un interlocuteur qui peut prendre des décisions, pas de quelqu’un qui dit « excusez-moi, il faut que je demande à Matignon »… » Avec, en plus, l’immense défi de l’organisation des Jeux comme possible priorité, le match qu’Amélie Oudéa-Castéra s’apprête à jouer est sans aucun doute le plus difficile de tous ceux qu’elle a déjà pu jouer.