Dans un discours devant les patrons allemands, le 23 novembre 1932, quelques semaines avant l’arrivée de Hitler au pouvoir, le juriste et philosophe nazi Carl Schmitt invoquait un « état d’urgence économique » pour en appeler à un « État fort » décidé à asphyxier « en son sein les forces subversives » et à broyer les revendications sociales pour servir une « économie saine ». L’histoire ne se répète pas ; ce sont les peuples qui l’écrivent. Elle nous apprend pourtant que la montée de l’extrême droite est bel et bien corrélée aux crises du système capitaliste. Celle que nous traversons (endurons) depuis le krach de 2008 a concouru à l’ascension des figures hideuses de Donald Trump aux États-Unis, de Jair Bolsonaro au Brésil, de Narendra Modi en Inde, de Javier Milei en Argentine.
En Europe, la stratégie du choc austéritaire a partout nourri l’extrême droite. Elle a permis d’asseoir des politiques ordolibérales propres à combler le patronat, la haute bourgeoisie, les marchés financiers gavés de profits faramineux. Tout en désagrégeant les libertés, les droits individuels et collectifs pour mieux prévenir et réprimer la contestation populaire de ces politiques de démolition sociale. Le visage de ce capitalisme autoritaire aujourd’hui en France, c’est Jordan Bardella. Tendons l’oreille : il fait sienne la petite musique de la « déraison budgétaire » qui ferait courir à la France « un risque de décrochage économique ». Il parle sans bafouiller la langue des agences de notation, du FMI, d’Ursula von der Leyen – celle-là même qui, en engageant dans cette séquence une procédure de déficits excessifs contre Paris, menace implicitement la France d’un scénario à la grecque en cas de victoire du Front populaire.
S’il entre à Matignon, demain, le président de l’ancien Front national se précipitera à Bruxelles pour entériner son allégeance à une Commission européenne prête à composer avec toutes les chapelles de l’extrême droite, comme elle le fait déjà avec Viktor Orban ou Giorgia Meloni. La démocratie n’a jamais été inscrite dans le code source du capitalisme. L’extrême droite et la guerre, quand il est menacé, sont ses ultimes remparts.