Elle avait quitté avec fracas la cérémonie des César, le 29 février 2020, après la récompense accordée à Roman Polanski, puis annoncé, trois ans plus tard, dans une lettre à Télérama, se mettre “en grève du cinéma”, à cause, notamment, de la “complaisance généralisée du métier vis-à-vis des agresseurs sexuels”. Ce lundi 9 décembre, Adèle Haenel va retrouver une autre scène – judiciaire celle-là – à l’occasion du procès intenté au réalisateur Christophe Ruggia, qu’elle accuse d’agressions sexuelles commises entre 2001 et 2004. Choisie pour tenir le premier rôle de son film “Les Diables”, qui narre la cavale incestueuse d’un frère et d’une soeur, abandonnés à leur naissance, l’adolescente était âgée de seulement 12 à 14 ans au moment des faits.
Le cinéaste, qui avait lui entre 36 et 39 ans, nie les accusations formulées par Adèle Haenel, expliquant que celles-ci constitueraient une “vengeance” consécutive à un projet de film avorté. Un scénario qui n’a pas convaincu la juge d’instruction en charge du dossier. L’ordonnance de renvoi, citée par Médiapart qui avait révélé l’affaire en 2019, souligne ainsi qu’Adèle Haenel a décrit de façon “circonstanciée, constante et précise plusieurs épisodes d’attouchements de nature sexuelle sur son sexe et sa poitrine”, qui se seraient déroulés au domicile de Christophe Ruggia, lors de rendez-vous hebdomadaires (plus d’une centaine en trois ans) censés parfaire la culture cinématographique de la jeune fille…
Des rencontres qui avaient suivi un tournage déjà décrit comme éprouvant, plusieurs témoins évoquant le comportement “anormal, trop tactile, ambigu et envahissant” du cinéaste à l’égard de l’adolescente, sans pour autant tirer la sonnette d’alarme. “Ca va pas, on dirait un couple, c’est pas normal”, s’était pourtant dit la scripte du film à l’époque. Confronté à ces accusations, mais aussi, en juin 2023, à l’actrice elle-même, le réalisateur n’a livré à la justice que des “explications peu claires et inadaptées au regard notamment du vocabulaire” employé “s’agissant d’une enfant”.
Dans un récit écrit à la suite des révélations de Médiapart et intitulé “Adèle Haenel m’a tué”, Christophe Ruggia se place même en victime d’une dangereuse tentatrice. “Elle remuait sa langue dans sa bouche d’une manière foncièrement érotique, digne d’un film porno, en me regardant avec des yeux énamourés”, écrit le cinéaste, qui ajoute aussi : “Adèle et ses 12 ans étaient d’une sensualité débordante”. Pour l’avocat d’Adèle Haenel, Me Yann Le Bras, il faut en revenir à la “réalité” de ce dossier : “un mec de 36 ans qui a touché une gamine de 12 ans” pendant plusieurs années. Il balaie de la même manière la thèse de la “vengeance”. “On parle d’une actrice célèbre qui met en danger sa carrière en accusant un réalisateur confidentiel”, argue-t-il.
Le procès est prévu pour durer deux jours, pendant lesquels l’ex compagne du cinéaste, Mona Achache, et sa sœur, Véronique Ruggia, seront entendues. Pour les faits retenus contre lui, Christophe Ruggia encourt jusqu’à 10 ans de prison et 150.000 euros d’amende.
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