Jamais à court de jargon technocratique, l’exécutif appelle ça un « accompagnement rénové ». Concrètement, les 1,8 million d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA) sont désormais, depuis le 1er janvier 2025, inscrits d’office à France Travail et tenus, pour une large partie d’entre eux, de s’acquitter d’au moins 15 heures d’activité hebdomadaire, via « un contrat d’engagement ».
La réforme, inscrite dans la loi plein emploi de décembre 2023, expérimentée depuis près de deux ans dans 18 territoires et étendue à 47 nouveaux bassins d’emploi en mars 2024, imposerait en outre, d’ici le mois de juin, selon des modalités qui restent à fixer par décret, la création d’une nouvelle sanction, dite « suspension-remobilisation ». En d’autres termes, les allocataires pourraient se voir couper les vivres, s’ils ne se plient pas à l’obligation de ces quinze heures d’activité.
Rupture avec des principes fondamentaux
Une disposition imposée au forceps lors des débats au Parlement, au mépris des alertes lancées par les élus de gauche, les associations, les syndicats, et la Défenseure des droits, qui dénoncent unanimement une « mesure infantilisante et stigmatisante », en rupture avec les principes fondamentaux au cœur du système français de protection sociale.
La Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) l’a pour sa part réaffirmé dans une déclaration rendue publique, le 19 décembre 2024, où elle s’insurge contre une mesure jugée « attentatoire aux droits humains ». À savoir : le droit à des « moyens convenables d’existence » prévu dans le préambule de la Constitution de 1946 et le droit à « une insertion sociale et professionnelle librement choisie » inclus dans la charte sociale européenne. L’institution pointe en outre « une relégation inacceptable des droits humains derrière les priorités économiques dans l’élaboration et la mise en œuvre des politiques sociales ».
Des personnes « en mode survie »
Un basculement également dénoncé par la CGT. « Cela n’a aucun sens d’imposer quinze heures d’activité à des personnes qui sont en mode survie », pointe ainsi Francine Royon (CGT France Travail), qui alerte par ailleurs sur le risque d’une brèche ouverte sur du « travail forcé et gratuit ». Dans la panoplie d’activités recouvrant ces quinze heures imposées sont ainsi citées notamment des « immersions en entreprise ».
« On nous parle de mise en situation en entreprise. Cela voudrait donc dire sans contrat de travail ? Et donc des périodes d’essai déguisées sans rémunération ? » interroge Denis Gravouil, secrétaire confédéral CGT. Pour l’instant, force est de constater que le flou demeure, dans un contexte d’incertitude budgétaire. Les décrets d’application, tombés in extremis les 30 et 31 décembre, ne répondent pas aux interrogations soulevées par les syndicats, notamment sur les moyens pour gérer cet afflux de nouveaux inscrits. « Jusqu’au 29 décembre au soir, on ne savait pas comment cela allait se passer », pointe ainsi Francine Royon.
Absence de moyens
Ces textes annoncent la répartition des allocataires en deux sections : l’une dite « G », pour ceux dont le dossier est en attente d’être enregistré dans l’une des catégories prévues par l’opérateur public. La seconde, dite « F », concernerait ceux dont la situation sociale jugée compliquée pourrait les dispenser de recherche d’emploi. Une catégorisation jugée « absurde » par Denis Gravouil, qui pointe le fait que 40 % des allocataires du RSA, ceux qui sont le moins éloignés de l’emploi, étaient déjà inscrits à France Travail, avant la mise en œuvre de cette réforme.
Quant à l’accompagnement promis, le cégétiste n’y voit que du « pipeau » : « Thibaut Guilluy (le directeur général de France Travail – NDLR) sait parfaitement qu’il n’a pas les moyens d’assurer cet accompagnement. » Et pour cause, la suppression de 500 équivalents temps plein, prévue dans le cadre du projet de loi de finances 2025, pèse toujours sur les agents, dans un contexte où les restrictions budgétaires restent le paradigme du gouvernement Bayrou.
Pour Francine Royon, si une partie de l’accompagnement sera à la charge des départements, eux-mêmes sous le coup de possibles restrictions budgétaires drastiques, cette réforme imposera nécessairement une surcharge de travail aux agents de France Travail, chargés de l’inscription, de la répartition de ces nouveaux demandeurs d’emploi et d’une partie de cet accompagnement. Denis Gravouil voit toutefois dans l’ajournement à juin de la mesure de « suspension-remobilisation », le signe d’une prise de conscience de ces limites et d’un infléchissement de l’exécutif : « Ils n’ont pas les moyens de la coercition prévue par la loi. C’est révélateur du changement de climat politique. Fin 2023, on était dans le macronisme triomphant. Il y a désormais une volonté de temporiser, par crainte de voir la résurgence d’une révolte comme celle des gilets jaunes. »
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