La gauche avait pourtant tracé le chemin. Depuis le mois de janvier 2023, l’ensemble des forces du NFP s’est largement démené pour conquérir l’abrogation de la réforme des retraites portant l’âge de départ à 64 ans. Dans les rues tout d’abord où, avec les syndicats, elle a rassemblé plusieurs centaines de milliers de personnes contre ce texte adopté par 49-3. Mais aussi dans les urnes, en intégrant dans son programme commun, en juin dernier, ce retour en arrière tant attendu.
Problème : voici cette voie désormais récupérée par le RN, pourtant jusqu’ici totalement absent de cette bataille, qui entend soumettre son abrogation au vote le 31 octobre à l’occasion de sa niche parlementaire. Qu’importe si Jordan Bardella, président du RN, avait écarté la possibilité de revenir sur cette réforme, se définissant comme « économiquement réaliste ».
Le but de la formation d’extrême droite est simple. Incarner le camp de la justice sociale et piéger la gauche dans un dilemme cornélien : voter l’abrogation, même si cela passe par soutenir un texte du RN, ou la refuser, au motif qu’il s’agit là d’une imposture ?
Des groupes divisés
C’est peu dire que le NFP est déchiré sur la question. Seul un groupe a exprimé une position unanime : les socialistes et apparentés. Estimant que cette proposition du RN « repose sur un triple mensonge », politique, institutionnel et social, et qu’elle ne constitue qu’un « coup de communication sans lendemain », les 66 députés du groupe refusent de voter ce texte. Ils vont même plus loin, insistant sur leur « ligne de conduite » : « Nous ne votons ni ne nous associons à aucune initiative du Rassemblement national ».
Ailleurs, le débat est moins tranché. Chez les communistes, tandis que Fabien Roussel, secrétaire national du PCF, dénonce « l’imposture du RN » tout en précisant qu’il « voterait pour » s’il était député, le groupe GDR est lui divisé. « Dans notre groupe, c’est du 50-50, précise André Chassaigne, son président. Certains ne souhaitent pas faire sauter le cordon sanitaire avec le RN et d’autres pensent qu’on ne peut pas ne pas voter ce texte en considérant qu’il y a une attente de la population. On est plusieurs, aussi, à être dans l’hésitation parce que c’est un choix qui n’est pas si évident ».
Un dilemme qui touche de la même façon le groupe écologiste qui n’a pas tranché de position claire. Seule Sandrine Rousseau, députée de Paris, a fait savoir qu’elle votera contre : « J’ai une discipline qui me l’impose », fait-elle savoir.
Des affiches RN pour dénoncer les opposants
Alors, que faire ? Dans un billet de blog, le fondateur de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, appelle pour sa part à « abandonner le RN à ses manipulations ». « Pas question de donner des brevets de crédibilité au RN sur le front social, argue-t-il. Et pas question de réformer le système des retraites à la sauce libérale ! ».
Membre du groupe FI à l’assemblée, Aymeric Caron a cependant pris une position contraire en précisant qu’il voterait pour le texte du RN : « Si on ne vote pas la leur, ils s’en serviront pour se faire passer pour le parti de défense des travailleurs ».
Les députés du Nouveau Front populaire ont dû faire face à ce choix cornélien dès mercredi 23 octobre avec l’examen en commission du texte porté par Thomas Ménagé. Les deux principaux articles ont été repoussés par les voix de la droite et des macronistes… ainsi que d’une partie de la gauche. L’écologiste Sandrine Rousseau et le socialiste Jérôme Guedj ont choisi de s’y opposer, quand la plupart de leurs camarades présents ont décidé de ne pas prendre part au vote, de même que tous les membres insoumis de la commission. Seul le communiste Yannick Monnet a voté pour.
Le parti de Jordan Bardella a d’ailleurs d’ores et déjà préparé et dévoilé un lot d’affiches destinées à être collées dans les circonscriptions des députés qui barreront la route de leur texte. On peut y voir les visages de certaines figures du NFP accolé au message suivant : « Abrogation de la réforme des retraites de Macron : votre député ne l’a pas voté, les députés RN l’ont votée ! ».
Les voies alternatives de la gauche
Un message mensonger quel que soit le vote des parlementaires de gauche sur le texte proposé par le RN. En effet, le NFP a prévu de soumettre aux députés un texte proposant lui aussi l’abrogation de la réforme des retraites. Il sera présenté à l’occasion de la niche parlementaire de la FI, prévue le 28 novembre. En cas de vote favorable, il atterrira au Sénat le 23 janvier prochain lors de la niche communiste. Ce que le RN ne peut obtenir pour son texte, même en cas d’adoption par l’Assemblée nationale, faute de groupe ou d’alliés à la chambre haute.
En attendant, pour multiplier les chances d’obtenir cette abrogation, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) a aussi été déposé en ce sens par les socialistes et adopté ce jeudi 24 octobre en commission des Affaires sociales. « Ce vote confirme qu’il y a une majorité à l’Assemblée pour inscrire l’abrogation de la réforme des retraites dans le PLFSS », a salué le PS dans un communiqué. Il sera à nouveau débattu la semaine prochaine en séance publique.
« Dans tous les cas, le NFP aura besoin de nos voix pour l’abroger, affirme le député RN Thomas Ménagé. Si c’est un retour en arrière, on pourra voter la proposition. Si c’est cela comprend des hausses des cotisations, c’est non ». Une façon de se montrer comme une force incontournable sur la voie de l’abrogation. Au mépris de toute cohérence politique.
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