Stenay (Meuse), envoyé spécial.
La scène a de quoi impressionner. De gigantesques cylindres orange qui tournent sur eux-mêmes. Des bobines de papiers dispersées. Des bruits de pas étouffés par le vrombissement d’engins métalliques en motion. À l’arrêt depuis des semaines, la ligne de manufacturing de la papeterie du Stenay est relancée ce lundi 27 novembre, signe qu’une nouvelle web page s’écrit dans cette usine du nord de la Meuse.
Depuis 4 heures du matin, les salariés sont sur le pont, l’consideration tournée vers la machine, l’esprit empreint d’une immense satisfaction. Ces travailleurs produisent les premières tonnes de papiers demandées par leur nouvelle course. Autrefois propriété du groupe finlandais Ahlstrom, la papeterie a été rachetée le 2 octobre 2023 par le fonds allemand Accursia Capital, permettant ainsi la sauvegarde de l’emploi de 130 salariés. Le website se nomme désormais « papeterie Stenpa », contraction de Stenay et Papers (« papiers » en français). Le fruit d’un travail de longs mois.
La crainte d’un « plan social »
Chaussures de sécurité aux pieds et casque sur la tête, Antoine Richard se balade à côté du bâtiment principal de l’usine, en face de deux grandes chaudières à gaz grises. « Depuis ces cinq dernières années, on a une baisse de la manufacturing des journaux et les papetiers ont réorienté leur secteur d’activité sur le papier couché. Ils nous ont d’abord concurrencés, puis rattrapés et dépassés », raconte ce coordinateur sécurité et délégué CGT.
Le 13 mars 2023, ce sombre constat se transforme en crise. L’usine papeterie spécialisée en papiers couchés destinés à l’emballage ou encore à la fabrication d’étiquettes est menacée de fermeture. Depuis quelques semaines déjà, l’intersyndicale CGT-FO Ahlstrom Stenay faisait half de sa vive inquiétude quant à l’avenir du website. Elle suspecte le propriétaire de ne pas réaliser les investissements nécessaires à la pérennisation de l’usine.
Les deux syndicats décident alors de publier un communiqué de presse : « La scenario et les informations recueillies tendent à confirmer l’élaboration prochaine par le groupe d’un nouveau plan social et d’une fermeture définitive de l’usine Ahlstrom Stenay, qui va fêter ses 100 ans. » Dans la foulée, le groupe Ahlstrom publie à son tour un communiqué pour confirmer l’info. Des discussions très dures commencent. Au bout d’un lengthy mois, les salariés et la course ne trouvent pas de terrain d’entente sur l’accord de méthode préalable à tout plan de sauvegarde de l’emploi (PSE).
« Pendant un mois, ça a tout bloqué. Les propriétaires étaient fous »
Alain Magisson, secrétaire du comité social et économique (CSE) et délégué CGT, se remémore la lutte astucieuse organisée par les syndicats. « On a réussi à bloquer l’usine sans faire grève parce qu’il était difficile pour les salariés de perdre de l’argent. Nous continuions de produire du papier, mais les caristes s’étaient mis en arrêt maladie, donc il n’y avait pas de livraison du papier, explique le syndicaliste. Et quand ils ont repris le travail, c’est le personnel de bureau administratif qui est tombé malade. Pendant un mois, ça a tout bloqué. Les propriétaires sont devenus fous. C’est lorsqu’ils se sont rendu compte qu’ils ne pouvaient rien envoyer que les négociations ont commencé », retrace ce responsable d’achat.
Un accord de méthode est alors signé le 7 avril 2023, actant le démarrage du plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). Les négociations reprennent, ainsi que l’activité sur la ligne de manufacturing, jusqu’au 25 juillet, date des congés et de l’annonce de la découverte d’un repreneur. « Ahlstrom voulait que les négociations de session se finissent au bout de trois mois. Mais cela ne laissait pas beaucoup de temps pour trouver un repreneur fiable, précise le secrétaire. Nous avons donc bataillé pour que la procédure soit repoussée jusqu’au 18 août. Et c’est ce qui a permis à Accursia Capital de se manifester et d’étudier plus sérieusement notre reprise. »
Sur place, le délégué syndical de 56 ans est heureux de pouvoir de nouveau marcher entre les différents couloirs de la grande usine. Derrière sa barbe grisonnante et ses lunettes carrées se cache un homme volubile et souriant. Pourtant, le conflit avec son ancien employeur a laissé des cicatrices. « À un second, je n’en pouvais plus. Entre les réunions sur le PSE qui s’enchaînaient, la course qui se montrait intraitable et certains salariés qui ne voulaient pas la jouer collectif… Pour rien au monde, je ne recommencerais tout ce processus », reconnaît l’homme au gilet noir. Sa fatigue s’explique aussi par l’accumulation du stress depuis un PSE en 2019.
« C’était difficile, il y a eu 77 départs mais tous volontaires. Mais comme il y avait une continuité d’activité, nous arrivions encore à positiver. Contrairement à cette fois-ci. Nous ne savions rien », glisse-t-il. Ce qui l’a fait tenir ? Son union avec Richard Guitton, 53 ans, délégué syndical Drive ouvrière. Les deux compères affichent une relation complice. Ils se connaissent depuis 1989, année où ils ont signé leurs contrats d’embauche. « Heureusement que nous sommes soudés. Celui qui ne nous connaît pas personnellement ne peut pas deviner que nous sommes apparentés à deux syndicats différents », considère le quinquagénaire de FO.
Une bonne ambiance règne sur le website. Les plaisanteries fusent entre collègues. « Ah le voilà Manu. Il a une bonne mine aujourd’hui, mais vous devriez le voir le matin quand il begin à quatre heures », plaisante un salarié. Inaugurée en 1927, la papeterie, qui s’étend sur 33 hectares, determine parmi les hauts lieux de la commune avec le musée de la Bière. « C’est toute notre vie. Jusqu’à trois générations se sont succédé ici. Pour certains, ils ne savent pas faire autre selected que fabriquer du papier. On apprend sur le tas avec les anciens, on évolue et on forme les plus jeunes », confie Alain Magisson.
Depuis son arrivée, il a vu les actionnaires se succéder et la papeterie en être bouleversée. « Quand l’usine appartenait à M. Sibille, on avait nos salaires, une prime d’intéressement tous les trois mois du montant d’un demi-salaire, ainsi que l’équivalent de deux mois de salaire en prime de participation aux bénéfices. Quand Ahlstrom est devenu majoritaire en 1994, l’intéressement a disparu », regrette le cégétiste.
Le défi de trouver de nouveaux purchasers
La papeterie est constituée d’un bâtiment principal à plusieurs étages. Au rez-de-chaussée, les salariés manipulent des « balles de pâte », des sortes de couches de cellulose blanches à base d’eucalyptus ou autres essences destinées à produire le papier. Celles-ci sont envoyées ensuite en « trituration » pour y être raffinées. Dans un même temps, les différents produits sont élaborés dans la delicacies. « Dans notre jargon de papetier, cela définit l’endroit où l’on prépare les « sauces » et les couches qui vont être appliquées sur le papier », explique Antoine Richard, coordinateur sécurité.
Une fois cette manipulation exécutée, les balles de pâte sont déposées through des convoyeurs dans un pulpeur qui les transforment en une pâte semblable à du coton. « Elles passent ensuite par un processus d’épuration avant de finir sur la machine à papier », précise le jeune homme. Les travailleurs y retirent l’humidité de la pâte, qui est ensuite frictionnée puis séchée sur la machine à papier. Le papier ainsi fabriqué finit enfin sur les coucheuses, où il est enduit de produits spécifiques qui lui confèrent sa bonne forme et son facet lisse. Un travail minutieux. Mais c’est surtout au dernier étage, dans les entrailles de la papeterie, que des hommes en chasubles jaunes, travaillent tambour battant. Ils sont formés en « faction », c’est-à-dire en équipe de six : un conducteur, un assistant conducteur, un polyvalent, un sécheur, l’aide sécheur et un contrôleur.
Les 3×8 et six jours de travail consécutifs
Une première escouade œuvre de 4 heures du matin à midi, une autre prend le relais jusqu’à 20 heures, puis un troisième groupe effectue les mêmes tâches de 20 heures à 4 heures du matin. Au milieu de la pièce au toit en tôle trône une immense machine qui sert de fabrique du papier, la S3. À quelques pas des bobines, un jeune homme, aide sécheur, se prépare à enduire les papiers. Comme lui, les salariés du service « manufacturing » travaillent pendant six jours consécutifs puis bénéficient de quatre jours de repos. Lui a découvert le travail d’aide sécheur en juin 2020 comme job d’été. Depuis, il est resté au sein de l’entreprise, qu’il considère comme « une grande famille ». Un esprit necessary pour comprendre les relations entre salariés. Antoine Richard y est attaché : « Mon père travaille ici, mon grand-père y bossait avant. Mon frère a préparé ici son BTS et ma grand-mère a été médecin du travail pour l’usine », s’amuse-t-il.
En cette fin de novembre, la ligne de manufacturing n’est pas encore totalement opérationnelle. Sur place, les salariés peinent à mettre du papier sur les cylindres avant qu’il ne se casse totalement. Mais les bobines mères arrivent tant bien que mal à s’enrouler sur la pope, partie de la machine où se finalise le produit fini. Pour cette semaine de reprise, la papeterie a reçu 1 000 tonnes de papier en commande. Le nouveau directeur général, Matej Kurent, se dit très optimiste concernant l’avenir de la papeterie, dont l’objectif est de produire entre « 35 000 et 40 000 tonnes de papiers » par an pendant au moins trois ans, pour retrouver un équilibre financier.
Mais l’avenir n’est toutefois pas encore totalement assuré pour ces salariés. « Nous sommes tributaires du nombre de commandes que nos purchasers passent », reconnaît Alain Magisson, délégué CGT. Après cette semaine d’activité, les travailleurs mettront de nouveau la machine 3 à l’arrêt, dans l’attente de nouvelles commandes. « Nous allons produire 1 000 tonnes cette semaine mais il nous faudrait, dans l’idéal, 4 000 tonnes au mois pour que ça tourne bien. » Pour Richard Guitton, le gros défi est désormais de retrouver des purchasers : « Il faudra continuer les investissements sur la machine. Mais le potentiel des salariés est énorme et nous serons au rendez-vous. »