À l’approche du supermarché Auchan de Neuilly-Plaisance (Seine-Saint-Denis), sous le panneau d’entrée de la ville, les drapeaux rouges surgissent. Ce lundi 6 mai, la CGT RATP appelait à la grève au dépôt de bus des bords de Marne. Un des 23 sites gérés par la RATP, d’où partent et sont réparés les véhicules. « Aujourd’hui, on nous dit que nos salaires et nos droits à la retraite, c’est terminé », tance un syndicaliste au micro.
Le centre de bus situé non loin du RER A sera l’un des premiers à pâtir de la privatisation à marche forcée des transports. Selon le calendrier, l’ensemble des treize lots de bus, où sont réparties 308 lignes en petite couronne, découpés sur mesure pour les appels d’offres, devront être cédés au plus tard à la fin 2026, pour une durée de cinq à sept ans. « La privatisation n’est pas prête. Initialement, ce basculement devait être effectif le 1er janvier 2025. En juin, vous auriez dû recevoir votre lettre de transfert, juste avant les jeux Olympiques. Ils ont reculé une première fois. Gardons-le en tête, l’affaire n’est pas finie », mesure Fabien Guillaud-Bataille, élu PCF à la région.
En mars, Île-de-France Mobilités (IDFM) reconnaissait que deux des premiers lots n’avaient pas trouvé preneur. Qu’importe. L’autorité organisatrice garde le cap. Le délégataire de service public retenu pour le lot numéro 45, comprenant le dépôt des bords de Marne, doit être annoncé à l’automne. Les conducteurs et mécaniciens seront, eux, transférés vers une société de droit privé à l’horizon de l’été 2025.
« Des collègues qui ont quinze ou vingt ans de boîte démissionnent »
« Nous n’accepterons jamais notre bascule vers le privé. La RATP sera la première entreprise publique privatisée dont les agents vont perdre leurs statuts, tance Roger, un salarié du site. Des collègues qui ont quinze ou vingt ans de boîte démissionnent. Les jeunes, contractualisés, ne sont pas fidélisés. Des salariés de Transdev et Keolis sont venus à la RATP pour fuir leurs conditions de travail. Et on voudrait nous y transférer ? » Bertrand Hammache, secrétaire général de la CGT RATP, complète : « La direction prépare cette bascule de longue date. L’accord CTMR (« conditions de travail des machinistes receveurs, signé par FO et l’Unsa » – N.D.L.R.) prévoit déjà six jours de repos en moins, tout en nous ajoutant une heure de travail quotidienne. »
Pour parvenir à ces treize lots en petite couronne, IDFM a dû racheter les dépôts et bus soumis aux appels d’offres. L’opération se chiffre à 4,9 milliards d’euros. Ainsi, les délégataires privés ne disposent que d’une seule variable d’ajustement : les salaires. « Le réseau Optile, en grande couronne, est déjà soumis en délégation de service public. L’offre de transport est en souffrance et les salaires en recul », note Alexandre El Gamal, candidat CGT aux élections pour le conseil d’administration.
Julie Garnier, élue insoumise à la région, rappelle que « des agents sont passés à des journées de 13 heures d’amplitude horaire, tout en percevant 100 à 600 euros net en moins par mois ». Et d’ajouter : « En grande couronne, des conducteurs intérimaires roulent, sans formation, avec un GPS. Mais que se passe-t-il quand ce dernier tombe en panne ? Les usagers subissent la galère tous les jours. »
« Une pression sur les primes, en plus de la pression sur les salaires »
De Tremblay-en-France à Argenteuil, les conflits salariaux explosent ces derniers mois dans les réseaux gérés en délégation de service public par Keolis et Transdev en Île-de-France. « Les acteurs créent des filiales dédiées par lots. Par exemple, demain, les agents de la RATP ne seront pas transférés à sa filiale de droit privé RATP Cap Île-de-France, mais à une PME locale filiale de cette dernière, déroule Fabien Guillaud-Bataille, qui siège au conseil d’administration d’IDFM. Ainsi, les chauffeurs ne sont pas éligibles aux primes d’intéressement du groupe, mais à celles de la PME locale. Avec cette extrême filialisation, ils subiront une pression sur les primes, en plus de la pression sur les salaires. »
Selon Malko, employé à la maintenance dans le dépôt, « la privatisation ne réglera en rien l’offre de transport. Il faut au contraire investir dans le réseau, dans nos métiers avec des conditions de travail dignes, avec un bon salaire et une bonne retraite ». Et les moyens existent : sur son site Internet, la RATP se vante d’être le troisième opérateur mondial de transports urbains. Un tract de la CGT à destination des usagers rappelle que l’entreprise « possède sur fonds propres une capacité d’investissement de plus de 1,7 milliard d’euros par an ». « Plutôt que de désosser le réseau, la mise en place d’une régie publique de la RATP était permise par la loi », note Fabien Guillaud-Bataille. Et Bertrand Hammache de prévenir : « L’Île-de-France représente 31 % du PIB national. Si les transports déraillent, c’est toute l’économie française qui va en pâtir. »
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