Marseille (Bouches-du-Rhône), envoyée spéciale
Il est midi lorsque les 14 femmes de chambre de l’Hôtel Radisson Blu, se rejoignent lessivées, mais non moins déterminées devant la Direction Départementale de l’Emploi, du Travail et des Solidarités (DDETS), ce jeudi 4 juillet. Alors en grève depuis 43 jours, ces salariées de l’entreprise Acqua, sous-traitante pour le ménage de l’établissement donnant sur le Vieux-Port de Marseille se mobilisent chaque jour et sans relâche pour réclamer de meilleures conditions de travail et des revenus dignes.
Par leurs actions, et notamment, le piquet de grève qu’elles tiennent presque tous les matins, dès 9 h 30 devant l’entrée de l’hôtel de luxe, en pleine saison estivale, les femmes de ménage ont bien l’intention de se faire entendre par des chants, des bruits de casseroles ou des banderoles explicites. « Malgré la fatigue, l’impact de la lutte sur notre vie privée et sur notre santé, nous tenons bon car nous sommes désormais une famille », assure Fatima, en attendant ce premier rendez-vous de médiation à l’inspection du Travail, Boulevard Périer, vers le Prado.
Déboutées de leurs demandes
Depuis le 24 mai, les femmes de ménage revendiquent le droit à un 13e mois, de même que leurs collègues du même sous-traitant sur les autres sites, en vertu du droit à l’égalité. Mais aussi, une prime annuelle pour la pénibilité de la saison estivale, l’augmentation de la prime panier et des qualifications dans la grille des salaires, deux jours maximum de remplacements imposés dans d’autres hôtels où l’employeur est prestataire, prévenus 48 heures à l’avance.
Inquiète de l’image renvoyée à sa clientèle, la partie adverse avait dans un premier temps cédé sur le principe d’un 13e mois, mais progressif, pour une effectivité totale dans 4 ans. La direction leur avait également proposé de plafonner les déplacements dans d’autres lieux à 4 jours par mois, sans délai. Elle proposait en échange d’un tel accord, une prime exceptionnelle de 200 euros. « Les moyens ils les ont, mais ils ne veulent pas partager avec nous, alors que sans nous, l’hôtel ne peut pas tourner », regrette la représentante du personnel, en poste depuis 5 ans, Ansmina Houmadi, refusant ces propositions arrachées.
Faute d’accord à l’amiable, l’inspectrice du Travail, Véronique Gras, s’était donc autosaisie afin de lancer une procédure de médiation, entre la société elle-même propriété du groupe d’hôtellerie Accelis, et ses salariées mobilisées, accompagnées par la juriste de la CNT-SO 13, Lara Schäfer.
Quelques minutes avant que les partis ne s’engouffrent dans le bâtiment de la DDETS pour entamer les négociations qui dureront 4 heures, le représentant d’Acqua, Nazim Almi, déboule de Paris en grande pompe. À son arrivée, le directeur d’exploitation de la boîte actionnaire, a jeté un froid sur le groupe de femmes, dont certaines ont même refusé la poignée de main. « On a déjà fait un pas, il faudrait désormais qu’un effort soit fait de la part des grévistes », lance amèrement le patron, après s’être plaint des difficultés rencontrées en route, pour se rendre au rendez-vous.
Conditions de travail indignes
« En plein cœur de Marseille, avec une piscine panoramique surplombant le Vieux-Port », peut-on lire sur le site de l’établissement quatre étoiles, dont le tarif moyen tutoie les 260 euros la nuit. La promesse d’un standing assez élevé pour ses clients, bien loin du traitement que réserve la direction de la société d’entretien à ses salariées.
« Nous sommes chargées de nettoyer et contrôler les chambres, d’équiper les minibars, la réception, les toilettes, le restaurant, de faire le linge, et sommes obligées d’effectuer des remplacements au pied levé parfois très loin », explique Dirce Maria Pina Xavier, l’une des employées, après avoir refusé de saluer son directeur.
Elle éprouve un important sentiment d’injustice depuis le début de ces négociations, au cours desquelles elle estime « ne pas avoir été considérée » bien qu’elle « fasse le travail de cinq personnes ». De son côté, Ansmina, raconte avoir fait, de même que ses collègues, l’objet d’intimidation : « Quand un client refuse de quitter sa chambre, nous devons effectuer des heures supplémentaires, souvent non rémunérées. Autrement, la hiérarchie nous menace de nous coller des rapports, ou de refuser nos vacances. » Elle ajoute que « ce phénomène est souvent amplifié lors de remplacements impromptus, sur des sites, où les gouvernantes peuvent être particulièrement irrespectueuses » à leur égard.
Cette tentative de médiation s’est également soldée par un échec, car la direction n’avait rien à offrir de plus qu’une prime exceptionnelle de 250 euros, contre 200 lors des dernières discussions, et 3 jours de remplacements par mois au lieu de 4, toujours sans délai. « Nous sommes face au même discours, que depuis le 24 mai, nous ne pouvons pas nous arrêter maintenant », persiste la représentante du personnel.
Un large soutien populaire
En effet, hors des questions de baisser les bras, pour les 14 grévistes, qui sont dès ce vendredi matin de retour devant l’hôtel pour scander leurs revendications. Leur force, elles l’ont puisée aussi dans le large soutien populaire qu’elles continuent à recevoir depuis le début du mouvement.
« Les clients de l’hôtel sont très sensibles à leur combat. Bien souvent, ils s’arrêtent pour leur parler, contribuer à la caisse de grève et leur souhaite bon courage », explique Julien Ollivier, secrétaire CNT Solidarité Ouvrière 13, très actif dans la lutte. Depuis 44 jours, l’organisation indemnise toutes celles qui souhaitent cesser de travailler pour rejoindre la mobilisation. Côté politique, elles ont déjà reçu la visite des députés insoumis Sébastien Delogu, ou encore Rachel Keke, qui avait elle-même été porte-parole de la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles entamée en 2019. Des associations telles que « Stop Arming Israel », ont aussi mis la main à la poche en finançant une partie de la caisse de grève. En juin, un collectif d’habitant de la Belle-de-Mai CHO3 s’était aussi montré solidaire en proposant une projection du film « Les Petites mains » au cinéma Gyptis, de façon à récolter des fonds.
Dans un contexte où l’extrême droite gagne du terrain, les femmes de chambre de l’hôtel Radisson, précaires et pour certaines détentrices d’un titre de séjour, sont très inquiètes pour leur avenir et celui de leurs enfants. Une raison de plus pour ne pas plier, aujourd’hui, face au groupe d’hôtellerie.
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