Sur la place Guichard, dans le 3e arrondissement de Lyon, la bourse du travail est immanquable. Dans un style Arts déco, reconnaissable par ses fenêtres hexagonales ou le motif géométrique de ses lettres, le lieu est surtout connu par les Lyonnais pour sa salle de spectacle. Son histoire est pourtant un résumé du mouvement ouvrier lyonnais.
Revenons à la seconde moitié du XIXe siècle. En 1887, le conseil municipal vote en faveur de l’établissement d’une bourse du travail. Entre Rhône et Saône, « seulement trois générations séparent les ouvriers âgés de 20 à 30 ans des grands pionniers locaux » qui ont pris part aux différentes révoltes des canuts, rappelle l’historien Maurice Moissonnier. Une première bourse s’installe en 1891, cours Morand, dans l’ancien Théâtre des Variétés.
Le lieu, exigu, fait l’objet d’une lutte intense entre les pouvoirs locaux et les syndicalistes. « Le 1er mai 1891, Benjamin Péronin, premier secrétaire de la bourse, est arrêté pour avoir organisé une manifestation interdite et la bourse occupée par les forces de police, rappelle l’historienne Danielle Tartakowsky. En janvier 1892, le maire Antoine Gailleton, républicain modéré, supprime la subvention initialement accordée puis fait fermer le bâtiment, ne permettant sa réouverture qu’en décembre. »
La pacification entre le pouvoir municipal et les syndicats viendra d’Édouard Herriot
À la suite de la création d’un comité de grève générale, en 1903, le maire républicain socialiste Jean-Victor Augagneur décide une nouvelle fermeture. « Ces pouvoirs radicaux, modérés, ont su développer des politiques hygiénistes en direction des travailleurs. Les constructions de nombreuses habitations bon marché ou des bains douches en sont l’illustration. Mais il était compliqué pour eux d’admettre que la classe ouvrière puisse agir en autonomie. Les conflits autour de la bourse, cours Morand, en découlent », décrypte Bernard Chareyron, de l’Institut d’histoire social (IHS) du Rhône.
La pacification entre le pouvoir municipal et les syndicats viendra d’Édouard Herriot. L’ancien président du Conseil, sous le Cartel des gauches, porte un projet dès le milieu des années 1920. La crise des années 1930 est un accélérateur. « Les pouvoirs publics sont destinés à stimuler l’activité économique » par des travaux publics, explique Maurice Moissonnier. Dans Lyon et ses environs, cette bourse fait partie d’une série de constructions monumentales, comme le quartier des gratte-ciel à Villeurbanne ou le nouveau centre postal.
Le maire de Lyon, Édouard Herriot, se tourne dans un premier temps vers Tony Garnier, célèbre architecte lyonnais, pour en dresser les plans. Son projet autour d’un vaste forum central couvert d’une verrière est finalement abandonné. Son collègue Charles Meysson est finalement sélectionné.
La bourse du travail, place Guichard, ouvre ses portes au printemps 1934. Immédiatement mise à disposition des syndicats, elle est inaugurée le 3 mars 1935. Une polémique éclate alors entre Édouard Herriot et la CGTU (communiste), après le refus du maire de Lyon d’interpréter « l’Internationale » lors de la cérémonie. La même année, la bourse du travail abrite de nombreuses réunions entre la CGT et la CGTU, en vue d’une réunification, dans la dynamique du Front populaire.
Sur la façade de la rue de Créqui se trouve une immense mosaïque de 26,5 mètres de long sur 6, 5 mètres de haut. « La vie embellie par le travail » est l’œuvre du peintre Fernand Fargeot. « En cette période de crise économique et politique, l’artiste impose l’image de travailleurs particulièrement sereins. Fernand Fargeot idéalise l’union entre les hommes et prône la vie collective », raconte l’historienne Sophie Rolland. Le maire Édouard Herriot, pipe à la main, est reconnaissable au milieu des différents corps de métier.
« De l’autre côté, rue Voltaire, face à la bourse, se trouvait la caisse d’assurance sociale de la CGT, Édouard Herriot a voulu implanter les deux lieux à proximité », insiste Bernard Chareyron. Aujourd’hui, l’immeuble a gardé sa vocation sociale en abritant un centre de santé dentaire de l’assurance-maladie.
Un discours de Martin Luther King en 1966
Au sein de la bourse, la CGT, la CFDT et la FSU, qui occupent les lieux, disposent de 55 salles de permanence et de 5 autres pour tenir des réunions. Surtout, 2 salles de congrès, de 300 et 350 places, sont à disposition. Toutes deux disposent de tableaux immortalisant Lyon et ses alentours. Dans l’une d’elles, au troisième étage, le mobilier en bois est resté dans son style des années 1930. Elle a d’ailleurs été baptisée en hommage à Maurice Moissonnier, résistant, syndicaliste Snes-FEN et fondateur de l’IHS Rhône.
À Lyon, l’Institut d’histoire sociale est animé par 8 militants bénévoles, dont 4 dédiés au travail de conservation des archives. « Nous intervenons aussi lors des stages syndicaux, notamment de premier niveau, insiste Bernard Chareyron. Les jeunes syndiqués sont désireux de connaître l’histoire du mouvement ouvrier. » Deux salles sont consacrées aux archives. Un simple regard et nous voilà en présence de documents datant du Front populaire de 1936 ou des exemplaires reliés du « Peuple », organe officiel de la CGT, des années 1920. L’ISH a également la gestion du fonds de la bibliothèque, dont l’ameublement est d’époque. On peut encore y trouver des cartes d’adhésion, vestiges d’une époque où des syndicats mettaient à disposition des cours d’alphabétisation à destination des travailleurs.
Face à la bourse, un buste de Martin Luther King trône sur la place Guichard. Le pasteur américain, icône de la lutte pour les droits civiques, a prononcé un discours dans ce lieu de luttes, le 29 mars 1966. « Ce jour viendra où l’on fera un soc de charrue avec les épées et où les nations ne se dresseront plus les unes contre les autres ! », clamait ainsi le prix Nobel de la paix. La même année, les syndicats perdent la gestion exclusive de la salle de spectacle. « Cela s’est fait sous la houlette du maire réactionnaire Louis Pradel, attiré par la manne d’argent générée par cette salle de 3 500 places », pointe Alain Dianoux, de l’IHS Rhône. Les syndicats conservent néanmoins un droit de préemption. Cette salle a d’ailleurs gardé son nom d’origine : Albert Thomas, premier directeur du Bureau international du travail.
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