Au sein des ateliers de restauration de l’Institut national du patrimoine, concentration, patience et rigueur sont les maîtres mots des étudiants. Julie, en deuxième année, utilise un nébuliseur – appareil produisant de la vapeur d’eau – pour restaurer « un papier patrimonial ». « Toutes les pièces du parchemin seront conservées », mais pour le traiter elle doit user de « calme et d’habileté », chuchote-t-elle. « À partir du moment où on touche à un objet, c’est tellement délicat… Ils sont en général dans des états tellement fragilisés qu’on retient notre respiration quoi qu’il arrive », livre la jeune femme de 21 ans.
Un lieu hors du temps
Implanté depuis 2015 au cœur de la commune d’Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), dans un monument classé symbole du passé industriel du territoire, le département des restaurateurs de l’Institut national du patrimoine (INP) semble un lieu hors du temps, idéal pour accueillir et former les garants des œuvres du passé. Dépendant du ministère de la Culture, cet établissement de formation réunit deux départements : le premier, à Aubervilliers, forme les futurs restaurateurs des biens culturels, tandis que le second, à Paris, proche du Palais-Royal, prépare les élèves ayant choisi la voie de la conservation du patrimoine.
À Aubervilliers, les étudiants s’engagent pour cinq ans, avec à la clé un master. « Ils font une rentrée comme à l’université », précise Olivier Zeder, le directeur du département des restaurateurs. Pour les futurs conservateurs, le parcours est différent : « C’est une école dite d’application de la fonction publique, qui forme des futurs fonctionnaires. Ce n’est pas un master. Les élèves ayant réussi le concours sont des conservateurs stagiaires, ils sont rémunérés et leur formation dure dix-huit mois. »
Deux parcours et deux statuts différents qui se croisent, ce qui n’était pas le cas avant 1996. « Les apprentis seront amenés à travailler ensemble dans leur vie professionnelle, c’est pour cela que nous nous organisons pour qu’ils bénéficient de cours théoriques et d’exercices en commun », poursuit Amélie Méthivier, adjointe au directeur du département des restaurateurs.
Les étudiants choisissent parmi sept spécialités
Les étudiants sont encadrés par de nombreux intervenants professionnels. Les nouvelles recrues cheminent et apprennent leur futur métier grâce à des cours aussi bien théoriques que pratiques, en fonction de leurs différentes spécialités. « Dès la première année, ils travaillent sur les œuvres et sont en contact avec la pratique des techniques anciennes, ce qui est plutôt rare dans les formations européennes, pointe Amélie Méthivier. Souvent, la pratique commence seulement en quatrième voire en cinquième année. »
Dès le concours, les élèves peuvent choisir entre les spécialités arts du feu, les arts graphiques et livre, les arts textiles, le mobilier, la peinture, la photographie ou bien la sculpture. À leur entrée en formation, un programme pluridisciplinaire les attend. À la fois artistes, artisans et chimistes, les restaurateurs doivent avoir un grand nombre de compétences.
Leurs semaines se divisent en deux parties : les trois premiers jours sont destinés aux cours théoriques et les deux derniers jours les élèves sont en ateliers et restaurent des œuvres de leur spécialité respective. « Il y a un gros programme de science, de chimie, de physique, et une méthodologie de la restauration, parce que c’est une discipline qui suit un certain nombre de préceptes assez fixes », détaille Amélie Méthivier.
Un accompagnement à la carte
Les élèves ne se contentent pas d’apprendre la restauration. « C’est aussi important qu’ils comprennent pourquoi l’œuvre s’est altérée, pour pouvoir éventuellement agir en amont, ce qu’on appelle la conservation préventive », ajoute Valérie, responsable de la spécialité arts graphiques et livre. Les œuvres sur lesquelles ils travaillent viennent d’institutions publiques et sont classées.
Le processus de restauration est très souvent identique. « On fait une description de l’objet, un constat d’état puis un diagnostic pour savoir l’origine des altérations, tout ça se fait avant de toucher à l’œuvre », détaille Laurianne, étudiante en cinquième année en spécialité métaux.
Cette année, 95 étudiants de la première à la cinquième année sont formés au département des restaurateurs. « Il y a un accompagnement qui se fait à la carte, vu leur nombre. Sur les 95 élèves, 20 sont en stage à chaque fois, donc ils sont encore moins nombreux », s’enthousiasme l’adjointe du directeur. Les futurs restaurateurs se retrouvent à deux ou trois par spécialité. « Oui, c’est le luxe. On limite à trois personnes par niveau de promotion pour qu’ils puissent travailler dans de bonnes conditions, quelquefois les objets sont très volumineux, donc il faut pouvoir circuler autour sans danger », ajoute-t-elle.
Des chantiers écoles en France et à l’étranger
Les étudiants de cinquième année comme Laurianne investissent aussi le lieu pour travailler en autonomie sur leur « objet de mémoire ». « Ils le traitent et réalisent toute une partie de recherche historique. Leur objectif est d’établir un protocole d’évaluation scientifique pour pouvoir restaurer l’œuvre et soutenir leur mémoire de fin d’étude », décrit Amélie Méthivier. Laurianne est consciente de la chance qu’elle a « d’avoir le temps de faire toute cette recherche et de se consacrer pendant plusieurs mois à une seule œuvre ». Dans leur vie professionnelle future, « ils n’auront plus jamais l’opportunité de passer autant de temps sur une même œuvre, parce qu’on leur demande d’aller vite », pointe Amélie Méthivier.
L’engouement des futurs gardiens du patrimoine se ressent dans l’ambiance générale de la structure. À partir de la troisième année, les élèves partent trois mois en France et cinq mois à l’étranger. « Les chantiers écoles sont organisés tout au long de la scolarité en France et à l’étranger pour échanger avec des restaurateurs d’horizons différents, ce qui leur permet d’apprendre de nouvelles techniques », affirme le directeur. Deux élèves de première année, Sacha et Laura, complètent : « On est toujours dans le vif du sujet, cela nous permet d’apprivoiser réellement notre futur métier. »
La diversité des étudiants, aussi bien par leurs parcours scolaires variés ou leur nationalité, amène une richesse dans les profils qui se complètent. « Il y a des élèves américains, japonais ou suisses qui viennent apprendre à l’Institut national du patrimoine », se réjouit Olivier Zeder, qui aimerait que ce master soit encore plus connu, déplorant qu’il « manque de visibilité ». Un comble.
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