« Ici, c’est chez nous », revendique Khadija depuis le jardin partagé créé par l’association LAB3S (sols, savoirs, saveurs) en plein cœur des quartiers du nord de Bondy. Tous les mardis et jeudis après-midi, la ferme urbaine s’ouvre aux habitants, qui sont devenus avec le temps des bénévoles à part entière. Les habitués viennent cultiver fraises, tomates, poireaux ou encore salades. « Ensuite, soit on cuisine tous ensemble ici, soit on se partage les récoltes que l’on ramène chez nous », explique Khadija, icône du jardin. L’assistante maternelle bondynoise, âgée d’une soixantaine d’années, prend par exemple des plantes pour ses lapins et pour les cochons d’Inde des mamans du quartier « qui se privent de manger pour acheter de la nourriture à leurs animaux ».
Une réponse à la précarité alimentaire à Bondy
C’est après avoir constaté cette précarité alimentaire poignante que l’association LAB3S, qui travaille sur la transition écologique en ville depuis 2018, a décidé d’installer son potager solidaire à Bondy. Deux études sociologiques menées avec la chaire Agricultures urbaines (AgroParisTech) en 2021 ont mis en avant le risque accru d’insécurité alimentaire et le besoin d’espaces verts à Bondy, ville très dense où le taux de pauvreté s’élève à 31 %.
Pour faire face à cette problématique et favoriser l’accès à une alimentation saine et durable dans la commune de Seine-Saint-Denis, le LAB3S a fait le choix d’allier jardin partagé et cuisine collective sur le campus de l’IRD (Institut de recherche pour le développement), à deux pas du bois de Bondy.
Autonomisation progressive des habitants
Financé pendant deux ans par la Fondation des solidarités urbaines, créée par les bailleurs sociaux de la Ville de Paris, le projet est axé sur l’autonomisation des habitants qui y participent. D’abord encadrés par une maraîchère, les bénévoles s’occupent désormais seuls des poules, des légumes, de la serre et de la pépinière, où ils font leurs propres plants.
Les semences sont faites avec des graines récupérées. « On essaye de coconstruire avec les habitants, de leur demander quels sont leurs besoins, de les faire participer à la programmation et de les laisser décider et prendre des initiatives, explique Yann Chapin, le directeur de LAB3S. On les laisse s’approprier le projet et prendre la main. »
Un lieu de sociabilité et d’apprentissage
Avec le temps, les habitués se sont rapprochés les uns des autres, jusqu’à devenir une véritable communauté. Retraités, enfants et mères de famille du quartier se rejoignent deux fois par semaine au jardin dans une ambiance familiale et chaleureuse. « Le quartier manquait de lieu de sociabilité. Le potager fait en sorte que les mamans se sentent moins seules et permet de libérer la parole », se réjouit Yann Chapin. « Les mamans qui viennent ici rentrent à la maison détendues. Elles viennent pour jardiner, mais aussi pour raconter leur histoire, leur intimité. Ce qui se dit au jardin reste au jardin ! » confie Khadija, grand sourire aux lèvres et panier de fèves au bras.
« À Bondy, je suis plus connue que le maire ! » s’amuse à raconter la mère de famille, qui mène de nombreuses actions contre la précarité alimentaire dans la commune de Seine-Saint-Denis. « J’organise des ateliers cuisine pour les mamies du quartier. Elles se faisaient livrer des plats tout préparés à 6,50 euros, alors je leur ai appris à cuisiner », se targue-t-elle. « Quand quelqu’un a besoin de quelque chose, d’un meuble, il m’appelle ! » Khadija est là depuis le tout début du projet. Elle connaissait le site avant même que le LAB3S s’y installe. Quand l’association organise des portes ouvertes, c’est elle qui tient le stand et fait faire le tour du potager.
Originaire du Maroc, elle a grandi dans un jardin et avait sa propre parcelle au pays. De nombreux habitués ont, comme elle, l’habitude des potagers et savent cultiver. Ils transmettent ainsi leurs connaissances aux nouveaux venus. « Quand des nutritionnistes, des diététiciennes viennent, elles apprennent plus de nous que l’on apprend d’elles ! » s’amuse Khadija.
Apprendre à faire soi-même
Un autre objectif important de la ferme urbaine reste la sensibilisation à l’alimentation durable. « On essaye d’expliquer pourquoi il est plus intéressant de faire soi-même que d’acheter des produits ultratransformés », explique Yann Chapin. « Le but est de renouer avec la terre, avec la saisonnalité. » Le jardin a d’ailleurs l’habitude d’accueillir des groupes scolaires.
Les enfants que Khadija garde en tant qu’assistante maternelle viennent au potager avec elle dès l’âge de 3 mois. « Ils y apprennent plein de choses. J’ai même été interpellée par les directeurs d’école qui me demandaient comment je faisais, car les petits étaient très avancés par rapport aux autres », se targue la soixantenaire. Elle est l’un des piliers du jardin, avec Joël et Taous, qui viennent eux aussi mettre la main à la pâte à chaque ouverture au public.
Taous, retraitée de 72 ans, est tombée sur le projet par hasard, sur YouTube. Depuis, elle ne manque pas une occasion de faire le déplacement depuis Le Blanc-Mesnil jusqu’au jardin. « C’est un endroit qui nous réunit. C’est incroyable d’être ici, parmi des gens sympathiques qui viennent de partout, quand ils veulent. Il n’y a pas d’heures fixes, d’ordres ou de chef », se réjouit la bénévole. Elle amène beaucoup de ses connaissances avec elle au potager. « La semaine dernière, j’ai ramené une dame du centre psychologique que je fréquente au Blanc-Mesnil. Elle était toute contente de cueillir des fraises ! » s’exclame-t-elle, fière de montrer sa photo sur son téléphone. Elle en profite pour demander à Yann si elle peut organiser une sortie avec tout le centre et l’infirmière, ce à quoi le directeur de l’association répond oui sans aucune hésitation.
Expérimentations en tous genres
Le potager est aussi un lieu d’expérimentation et de recherche. Fatouma, habitante originaire des Comores, a par exemple eu l’idée d’essayer de faire pousser des brèdes mafanes, légume exotique très consommé dans l’archipel africain. « Elle les couve comme ses enfants », relate Yann Chapin. Et de préciser : « On essaye de créer des filières de culture exotique en Seine-Saint-Denis, sur proposition des habitants. » Sur le site, une rotonde entière est dédiée à la recherche agronomique et à l’expérimentation. Un autre enjeu est celui de cultiver en ville et en sols urbains pollués, alors que Bondy est particulièrement affectée par la présence de métaux lourds, de plomb, de cuivre et de mercure.
Des ateliers de cuisine ouverts à tous
Avec l’arrivée de l’été, les ateliers cuisine et les repas partagés ouverts à tous reprennent au jardin. Dans une salle aménagée en cuisine « faite de bric et de broc » avec l’aide de la Fondation des solidarités urbaines, les habitants du quartier ont ramené un micro-ondes, un frigo, un four et de la vaisselle de récupération. Prochaines dates au programme : le 13 août, le 10 et le 28 septembre, de 10 heures à 13 h 30.
Après une période d’incertitude quant à l’avenir du potager, alors que l’IRD qui l’héberge quitte le site, le département de Seine-Saint-Denis envisage d’acquérir le terrain et de pérenniser le lieu. L’association LAB3S a également postulé à un nouvel appel à projets de la Fondation des solidarités urbaines, qui pourrait lui permettre de se développer d’autant plus.
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