Dans l’effort budgétaire de 60 milliards d’euros que le gouvernement a ciblé pour le projet de loi de finances, les collectivités locales pourraient contribuer à hauteur de cinq milliards. Les réactions du président de l’Association des maires de France, de la présidente des Régions de France, et de présidents de Départements.
David Lisnard, maire de Cannes, président de l’Association des maires de France, Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, et présidente des Régions de France, Kléber Mesquida, président du Département de l’Hérault, ou Arnaud Viala, président du Département de l’Aveyron, réagissent aux critiques récurrentes sur les supposées dérives budgétaires des collectivités qu’ils dirigent. Et proposent leurs solutions.
David Lisnard, maire de Cannes, président de l’Association des maires de France
Les collectivités locales sont régulièrement critiquées pour leurs supposées dérives budgétaires, comme l’a encore répété Bruno Le Maire avant de quitter Bercy. Comment réagissez-vous à cette mise en accusation récurrente ?
C’est vraiment une manœuvre assez grossière et démagogique, de détournement de l’opinion publique. C’est une façon d’essayer de s’exonérer de responsabilités lourdes dans la dégradation des comptes publics. Il y a bien sûr des collectivités qui sont mal gérées, comme il y a des entreprises mal gérées. Il peut y avoir ici ou là des abus… Mais c’est aux habitants, aux contribuables, de juger et de changer les exécutifs.
Les collectivités locales, selon vous, ne représentent pas une cause majeure de la dérive des comptes publics ?
Le problème lourd et grave des comptes publics de la France est celui de l’État et des comptes sociaux. C’est une réalité factuelle, facile à démontrer. D’abord, parce que les collectivités territoriales n’ont pas le droit d’emprunter pour le fonctionnement. Quand on emprunte dans une collectivité territoriale, ça s’appelle la règle d’or, c’est uniquement pour de l’investissement. Deuxième élément : par rapport à la richesse du pays, la dette des collectivités représentait il y a trente ans 9 % du PIB. En 2024, cette dette représente 8,9 % du PIB.
Dans un contexte financier qui, en trente ans, a largement évolué…
Oui, alors qu’il y a eu un transfert de charges, un transfert de responsabilités, un transfert d’équipements pourris. Je pense aux routes qu’on nous a refilées et qui sont en très mauvais état. Et alors que nous avons de moins en moins de leviers fiscaux. Donc, on voit bien qu’on a légèrement diminué la dette et qu’elle est marginale par rapport au PIB.
Or, toujours par rapport au PIB, la dette de l’État et des comptes sociaux, elle, a été multipliée par 2,5 en 30 ans. La dette de l’État a augmenté de 150 %. 92 % de la dette publique, c’est l’État !
Globalement, les communes conservent-elles une vraie capacité d’investissement ?
Oui, il y a un bon niveau d’investissement, on rattrape le retard de la pandémie du Covid. Mais les projets sont de plus en plus longs à mettre en œuvre. Il y a une telle bureaucratie, qui n’en finit pas de grossir ! Il y a aussi une insécurité juridique. Le droit est devenu tellement abscons et les faisceaux juridiques sont tellement contradictoires : le droit de l’urbanisme va contredire le droit de l’environnement qui, lui-même, va être en contradiction avec les règles de commande publique.
Donc, avec tout ça, aujourd’hui, soit vous renoncez parfois à des projets à cause de l’enchevêtrement des contraintes juridico-administratives, soit vous faites votre projet mais vous vous mettez vous même en insécurité juridique. Et il y a dans beaucoup de motifs de démission des maires, cette difficulté de répondre aux attentes des habitants, cette difficulté d’exécuter des choses à cause de la bureaucratie croissante pour les municipalités.
“Les collectivités ne peuvent pas tout” estime Arnaud Viala
“À de rares exceptions près, les collectivités locales ont un budget stable parce qu’elles en ont l’obligation” note lui aussi Arnaud Viala, le président (divers droite) du Département de l’Aveyron. “Je n’ai donc pas compris l’angle d’attaque de Bruno Le Maire pour lequel j’ai par ailleurs de l’estime. Par ce que les collectivités locales savent en même temps conserver des marges d’investissement” ajoute-t-il.
Déplorant “un procès très injuste”, alors que communes, Départements ou Régions “représentent une part infime de la dette nationale”, Arnaud Viala estime par ailleurs qu’”en France, si on regarde la réalité budgétaire, nous avons placé sur le collectif des attentes qu’il ne peut plus fournir. Les collectivités ne peuvent pas tout”, juge-t-il.
L’urgence ? “Il faut rendre pérenne notre modèle social. Et pour y parvenir, on ne peut pas continuer à expliquer, comme le font certains, que l’on peut tous être à la retraite à 60 ans.”
Et Arnaud Viala d’estimer qu’”une remise en question collective et individuelle est nécessaire” pour tout ce qui concerne le sujet des finances publiques. “Moi, par exemple, je reste réticent au tout gratuit dans certains services. Chacun, dans la mesure de ses moyens, doit pouvoir contribuer.”
Carole Delga, présidente de la Région Occitanie, présidente des Régions de France
Les collectivités locales sont souvent critiquées pour leurs supposées dérives budgétaires, comme l’a encore répété Bruno Le Maire avant de quitter Bercy. Comment réagissez-vous ?
Je suis excédée d’entendre des propos mensongers. Déjà, nous avons une obligation juridique d’avoir des budgets à l’équilibre. Et c’est sur la question de la dette, les collectivités locales, n’en représentent que 8 %. Celui qui est responsable de 92 % de la dette française accuse celui qui n’est responsable que de 8 % de cette dette. On marche sur la tête !
Que dit le bulletin de santé des Régions de France en 2024, financièrement, comment se portent-elles ?
Il est encore correct mais peut devenir préoccupant. Nous sommes la seule collectivité à ne pas être aidée par le gouvernement face à l’explosion des prix de l’énergie et des carburants. Une décision jamais argumentée, alors que les Régions connaissent les mêmes augmentations de dépenses d’énergie pour les lycées, comme les Départements les ont pour les collèges, et les communes pour les écoles. Et nous avons été la seule collectivité locale à ne pas être compensée. Les communes ont eu un milliard d’euros d’aides, les Départements 230 millions. Zéro pour les Régions.
Et pour les carburants, nous sommes la collectivité locale qui transporte le plus de voyageurs. Les intercommunalités ont eu 100 millions d’euros d’aides, et nous zéro. Donc nous puisons dans nos réserves, alors que nous avons une explosion des dépenses de fonctionnement qui n’est pas de notre fait.
Mais vous continuez à investir ?
Massivement. Comme les différents Premiers ministres nous l’ont demandé, afin de pouvoir soutenir la croissance en France. Nous, les Régions, respectons largement notre parole. Entre 2019 et 2023, nous avons augmenté notre investissement de 26 %, .Or, vous ne bénéficiez de quasiment plus aucun levier fiscal ?
Absolument. Désormais, pour 94 % de nos recettes nous dépendons des dotations de l’État. Des dotations qui, je le répète, n’ont rien compensé, pour les Régions, des dépenses d’énergie et de carburants.
Que préconiseriez-vous ?
Nous sommes conscients de la situation budgétaire de l’État. Demander une augmentation des dotations ne serait pas responsable. On demande au moins de ne pas avoir de baisse. Et que l’on ait une compensation en 2024 comme les autres ont pu l’avoir en 2023. Et nous demandons une refonte de la seule fiscalité que nous avons, sur les cartes grises, qui est en déclin. Il y a de moins en moins de voitures, et l’exonération de la carte grise sur les véhicules électriques nous pénalise fortement.
Mais si nous voulons avoir un investissement fort de la France et de l’Europe dans la réindustrialisation, les mobilités décarbonées, et les énergies renouvelables, cela ne sera possible qu’en taxant les entreprises qui ont fait des super profits, et avec une taxation des plus hauts revenus.
Kléber Mesquida, président du Département de l’Hérault
Vous vous êtes dit opposé à la suppression de 100 000 postes de fonctionnaires territoriaux préconisée par la Cour des comptes. Pour quelles raisons ?
C’est très simple, une telle réduction aurait un impact négatif pour nos services publics. Si nous suivions la préconisation de la Cour des comptes, nos effectifs seraient réduits de 5,5 %, ce qui entraînerait la suppression de plus de 300 emplois départementaux essentiels aux Héraultais. Il ne peut pas en être question !
En quoi le fonctionnement serait-il altéré ?
Prenez le service des routes qui compte 461 agents, la baisse du personnel nous obligerait forcément à revoir l’entretien des voies. Voulons-nous favoriser l’accidentologie ? Le service de défense des forêts contre les incendies dispose de 95 agents. Imaginez les conséquences de leur remise en question sur la lutte contre le feu ou sur le débroussaillement.
Le sujet est tout aussi sensible dans les collèges où nous avons 835 agents au total dont 65 dans les cuisines. Faut-il supprimer les cantines pour les élèves ? Que dire des 705 agents qui assurent l’entretien des établissements et des classes, arrêtons-nous le nettoyage ?
Côté solidarités, craignez-vous des conséquences ?
Plus que jamais ! On a 43 000 familles suivies au sein de la Maison départementale de l’Autonomie par nos 351 agents. Va-t-on cesser d’instruire les dossiers ? Va-t-on arrêter les visites des assistantes sociales ou des infirmières ? Nous suivons par ailleurs 1 165 enfants et nous avons la responsabilité de plus de 3 000 enfants confiés par décision des juges. Je vous laisse imaginer leur avenir si nous supprimions des effectifs… Et pour quelle réalité sérieuse ? Une baisse de la masse salariale de 9 millions d’euros par an.
Certes, c’est une somme, mais quand on la met en regard à la fois du drame social généré par les suppressions et de la remise en question de notre mission de service public, l’État fait fausse route. L’État qui, entre parenthèses, ne cesse de baisser nos dotations de fonctionnement années après années…
Que préconisez-vous alors ?
Je propose que l’on se tourne vers les administrations centrales, vers Bercy notamment, une véritable forteresse de fonctionnaires qui ne cesse de grossir pour, par ailleurs, complexifier les règles.