Qu’il est savoureux d’entendre Yaël Braun-Pivet rendre hommage, mardi 8 octobre, à son défunt prédécesseur, le socialiste Louis Mermaz. À son propos, elle dit – à raison – que celui-ci a été, en 1981, le premier président de l’Assemblée nationale de « l’alternance parlementaire » sous la Ve République.
Savoureux puisqu’une poignée d’heures plus tard, c’est précisément du refus de l’alternance par son camp dont le même Hémicycle devait faire le procès. Le gouvernement de Michel Barnier a, cette fois, échappé à la sentence. Mais jusqu’à quand ?
Pour l’heure, il reste en fonction car, bien loin des 289 suffrages nécessaires, seuls 197 parlementaires ont voté la censure, quand 413 sur 577 se sont pourtant officiellement déclarés dans l’opposition auprès des services du Palais Bourbon. Les 141 élus d’extrême droite, lepénistes et ciottistes, assument d’être l’assurance-vie de l’exécutif, dont la gauche est l’unique opposante. La seule à continuer de réclamer l’abrogation de la réforme des retraites.
« Aujourd’hui se dessine le périmètre politique des soutiens du gouvernement de Michel Barnier »
Il est précisément 16 h 49 quand Olivier Faure, député et premier secrétaire du Parti socialiste, gravit, feuilles en main, les huit marches qui le mènent à la tribune. Au nom de ses 191 collègues du Nouveau Front populaire, il a la charge de défendre cette 35e motion de censure depuis 2022, la première depuis les législatives anticipées.
Face à lui, attentif, Michel Barnier se tient raide comme la cure d’austérité qu’il s’apprête à infliger au pays. Lui qui est à la tête d’une équipe ministérielle nommée au mépris des urnes. Parce qu’Emmanuel Macron a rejeté toute alternance démocratique, toute alternance économique.
« Jamais, Monsieur le premier ministre, vous n’auriez dû vous tenir devant moi (…) comme si le 7 juillet n’avait pas existé ! lui lance Olivier Faure. Dans tous mes déplacements, je rencontre nos concitoyens, souvent en colère, écœurés. » Face à un côté droit de l’Hémicycle presque vide, signe que Michel Barnier ne bénéficie pas d’un immense soutien parmi ses troupes, le socialiste s’attaque au futur budget et aux dizaines de milliards d’économies sur lesquels l’Assemblée se penchera à partir du 14 octobre.
« Vous nous avez dit vouloir ”faire beaucoup avec peu, en partant de presque rien”. Dans les faits, vous voulez faire beaucoup avec les gens de peu et presque rien avec ceux qui ont tout ! » assène-t-il. Tout en promettant d’émettre « d’autres propositions » de financement à l’heure où « le montant global des 500 plus grandes fortunes françaises a doublé en sept ans ».
Dans son assaut, Olivier Faure reçoit l’appui de ses partenaires de gauche. « Aujourd’hui se dessine le périmètre politique des soutiens du gouvernement de Michel Barnier. Nous saurons qui vote ou non la censure. (…) Lucie Castets aurait dû avoir le droit de chercher à construire son gouvernement », résume Cyrielle Chatelain, présidente du groupe Écologie et Social.
Et Émeline K/Bidi d’abonder : « Votre gouvernement n’est pas la solution. Comment pourrait-il l’être alors que vous n’avez été nommé que pour poursuivre le projet d’un président désavoué et affaibli ? » « Lors de votre discours de politique, vous nous avez promis la continuité, l’austérité en plus et la dépendance au RN en prime », tacle la coprésidente du groupe GDR, où siègent les communistes. « Votre gouvernement est exécuteur des basses œuvres du macroniste que les Français ont pourtant rejeté », conclut l’insoumise Clémence Guetté.
« Ce n’est qu’une question de semaines avant que le gouvernement ne tombe »
Comme de coutume, Michel Barnier monte à son tour à la tribune pour répondre à un « procès en illégitimité » sur lequel se base une « motion de censure a priori », avant même tout projet de loi. « Je n’ai pas besoin qu’on me rappelle au gouvernement qu’il est ici minoritaire. Je le sais, concède-t-il. Il n’y a pas de majorité absolue. Pour personne. La majorité qui accompagne le gouvernement est aujourd’hui la moins relative. C’est la vérité. »
Le premier ministre poursuit en martelant son orientation politique car « nous dépensons trop d’argent que nous n’avons pas ». « Les Français n’ont mis personne en situation de gouverner. Ils nous ont dit : ”Vous allez devoir vous entendre, dépasser vos différences, vous rassembler“ », appuie Marc Fesneau, président du groupe Les Démocrates, déplorant l’absence de ministres de gauche. « Les Français ne veulent pas de votre extrémisme », adresse même Laurent Wauquiez, son homologue des « Républicains », au NFP.
« Vous osez parlez d’un gouvernement sous surveillance du RN, mais c’est votre refus de venir à la table des négociations qui provoque cette situation », palabre le macroniste Pierre Cazeneuve, qui accuse la gauche d’être en plein « délire trumpiste de bas étage », pour expliquer le braquage démocratique.
« Vous voulez censurer des paroles, nous ne censurons que des actes », tente benoîtement de justifier le député du RN Guillaume Bigot quant au soutien tacite de son parti. « La censure pourrait nous démanger. (…) Mais à qui la faute si aucune majorité alternative n’a émergé au sein de cet hémicycle ? La faute à votre barrage soi-disant républicain », assure-t-il.
Mais, dès lors que le Rassemblement national avait annoncé très en amont qu’il ne voterait pas la censure, de suspense, il n’y avait pas. La déposer était tout de même « une question de principe », juge le porte-parole du groupe écologiste Benjamin Lucas, car « on ne peut pas dire que le gouvernement est illégitime sans essayer de le faire tomber ».
Le vote de mardi « montre à l’électorat populaire que le RN est de mèche avec Emmanuel Macron », se satisfait malgré tout le socialiste Laurent Baumel. Mais le communiste Nicolas Sansu regrette que le NFP n’ait pas su « asseoir une certaine gravité » avec cette motion « alors que les gens n’ont pas digéré le fait de se faire voler l’élection ».
« Ce n’est qu’une question de semaines avant que le gouvernement ne tombe, prophétise l’insoumis Thomas Portes. Le RN ne peut à la fois soutenir Michel Barnier et être dans l’opposition. » Avant de manger la souris, le chat la fait courir. D’ici la dégustation, le premier ministre a toute latitude, ou presque, pour assommer le pays avec l’austérité.
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