« Je cherche de l’aide. C’est pour mon mari », lance pudiquement une dame âgée. « Vous êtes ici au bon endroit », répond d’une voix douce Chantal Voisin. Cette assistante sociale de 62 ans a l’habitude de gérer ce genre de demande. Elle l’oriente immédiatement vers une caravane stationnée sur le parking de l’hôtel de ville de Bobigny, en Seine-Saint-Denis, arborant une immense banderole bleue signée « Tous aidants ».
Depuis le 13 juin 2024, le véhicule sillonne la France et s’installe dans différentes villes pour apporter soutien, écoute et information aux 11 millions d’aidants – ces personnes qui viennent en aide, de manière régulière et à titre non professionnel, à un proche en perte d’autonomie – que compte le territoire.
« L’idée, c’est d’interpeller les aidants afin qu’ils puissent s’identifier comme tels », explique Anaïs Widmann, 32 ans, responsable opérationnelle à l’association la Compagnie des aidants, à l’origine du dispositif. Fondée en 2011, la structure est l’une des premières à avoir défendu l’importance des aidants. Et chaque année depuis 2017, la caravane traverse, de juin à octobre, l’ensemble du territoire. En ce début septembre, elle a posé ses valises pour deux jours à Bobigny.
« Mettre un visage sur les besoins des aidants »
Près de la caravane, sur le stand tenu par le centre communal d’action sociale (CCAS) de la ville, une dizaine de personnes consultent des prospectus. « Nous travaillons avec le tissu associatif et institutionnel existant, en fonction du territoire où nous allons, afin de créer une synergie. L’objectif étant de mettre un visage sur les besoins des aidants », précise Anaïs Widmann. Informer ces personnes des droits auxquels elles peuvent prétendre paraît essentiel.
Selon les dernières données disponibles, seulement 34,5 % des aidants se sont vu proposer des solutions d’information, de formation et de répit. La majorité n’a, bien souvent, pas connaissance des aides financières et autres dispositifs qui leur sont spécifiquement dédiés. « Il en existe plusieurs, notamment l’aide personnalisée à l’autonomie (APA), qui peut financer des aides à domicile, ou encore l’aide sociale à l’hébergement, réservée à ceux qui n’ont pas les moyens, et où l’État prend en charge les frais en Ehpad », détaille Chantal Voisin.
Prévenir le burn-out chez les aidants
D’autres dispositifs existent, notamment pour les aidants salariés. Le « congé de proche aidant » permet ainsi, pendant une durée de trois mois, de suspendre ou réduire son activité professionnelle pour accompagner un proche en situation de handicap ou en perte d’autonomie. Si les outils conçus pour faciliter le quotidien des aidants ne manquent pas, ils restent trop peu connus des principaux intéressés. En France, tandis que 60 % des aidants sont salariés, ils sont seulement 1 sur 4 à avoir informé leur employeur de leur situation. Faute de relais, de nombreux travailleurs se voient contraints de démissionner.
C’est le cas de Yasmina. À 40 ans, cette enseignante a accompagné pendant plusieurs mois une amie hospitalisée chez elle. « Si j’avais su qu’il existait ces aides, cela m’aurait vraiment soulagée ! Il est vraiment important de communiquer sur les dispositifs auxquels les aidants ont droit ! Quand vous devenez aidant, vous n’avez plus le temps de vous y consacrer. Toute votre vie tourne autour de l’aidé. Il vaut mieux être prévenu avant. Un accident de la vie arrive n’importe quand », s’exclame Yasmina, qui appelle à une véritable reconnaissance du statut des aidants.
À la méconnaissance des dispositifs existants s’ajoute l’invisibilité en société. « Il est très difficile de les faire sortir de leur coquille. Souvent, ils n’osent pas demander de l’aide, parfois par honte. Ce qui peut les isoler socialement. Il y a aussi la culpabilité à l’idée de recevoir de l’argent. Pour eux, il est normal d’aider », rappelle Chantal Voisin. Cette sensation de normalité, souvent corrélée à l’impératif culturel de remplir son devoir filial, peut mettre en danger la santé physique et mentale de l’aidant.
Malika, 56 ans, peut en témoigner. Pendant plusieurs mois, elle a pris en charge sa mère, alitée, qui résidait alors chez elle. Assistante maternelle, elle est contrainte d’abandonner son poste, comme Yasmina. Sans contrepartie financière, elle se retrouve seule pour gérer la maladie. « Même si mes enfants m’ont beaucoup épaulée, ce n’était évidemment pas suffisant. J’ai mis très longtemps avant d’accepter que j’avais besoin d’aide. En tant qu’aidant, on ne pense plus à soi. On vit à travers l’autre. Un jour, cela n’a plus été possible. Je ne pouvais plus marcher ou me faire à manger. J’avais perdu 17 kg en quelques semaines ! »
Épuisée, elle met en place un service de soins à domicile. « Cela m’a beaucoup soulagée. J’ai pu me reconstruire et reprendre mes études », raconte Malika, aujourd’hui sophrologue. « Être aidante, je sais ce que c’est. Mon expérience m’a donné envie d’accompagner des personnes qui font face à cette situation », confie-t-elle, émue. Malika anime désormais régulièrement des groupes de parole, comme la matinée des aidants, en coordination avec le CCAS de Bobigny.
L’aidant : un maillon essentiel qui pallie le manque de services publics
Ces activités permettent d’offrir des moments de répit essentiels. « Le risque, pour les aidants, c’est de s’épuiser et de tomber malade. Certains en décèdent. Nous sommes là pour leur offrir un accompagnement de qualité afin qu’ils se préservent. De tels dispositifs permettent aussi d’éviter de possibles situations de maltraitance », pointe Hélène Fernandez, 62 ans, responsable du service de soins à domicile (Ssiad) au CCAS de Bobigny. Celle-ci déplore la quasi-absence de débat public autour du statut des aidants. « Nous sommes face à un sujet de santé publique majeur, car la population vieillit de plus en plus. Pourtant, il n’intéresse pas ! »
Pour Hélène Fernandez, le renforcement du statut des aidants doit aller de pair avec l’augmentation des moyens alloués aux services publics. « L’aidant a un rôle important, puisqu’il permet à l’aidé de rester à domicile. Pour autant, il ne faut pas que tout repose sur lui. Il a besoin du concours de professionnels de santé », insiste-t-elle. « Le problème, c’est que les métiers du médico-social n’attirent plus ! Actuellement, le Ssiad tourne avec une infirmière pour 45 patients car les deux autres postes sont vacants depuis 2019 ! » Et si la stratégie de mobilisation et de soutien pour les aidants (2023-2027), présentée par le gouvernement Attal en 2023, reconnaît leur statut, ces derniers doivent néanmoins batailler au quotidien en l’absence de services publics pérennes.
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