Début septembre, en présentant un édifiant rapport sur la fiscalité de l’héritage, Cécile Duflot, directrice d’Oxfam France, résumait ainsi ce qui dysfonctionnait : « Il n’est pas normal de payer proportionnellement plus d’impôt lorsqu’on hérite des 15 000 euros d’économies durement gagnés par sa tante aide-soignante sans enfant, que lorsqu’on hérite 15 millions d’euros de ses parents. » En effet, les successions indirectes (frères et sœurs, oncles et tantes…) sont imposées jusqu’à 60 %, alors que les super-héritages (de plusieurs millions d’euros) en succession directe (parents et grands-parents) ne sont taxés, en moyenne, qu’à 10 % alors qu’ils devraient l’être à 45 %.
En France, la part de la fortune héritée dans le patrimoine ne cesse d’augmenter. Elle est désormais de 60 %. C’est aussi le signe que les richesses se concentrent toujours plus, puisque la moitié des Français ne toucheront pas d’héritage. Et, dans le même temps, certaines successions indirectes se voient confisquées. Cet état des lieux mine le consentement à l’impôt. La droite et l’extrême droite instrumentalisent ce désamour et réclament purement et simplement l’abolition de ce prélèvement. À l’image de l’ISF avant sa suppression, l’impôt sur l’héritage n’est ni vraiment juste – même si de 75 à 80 % des successions n’y sont pas assujetties – ni suffisamment efficace. Il a besoin d’une profonde refonte, ce qui était d’ailleurs au programme du NFP.
D’importantes niches fiscales pour les riches
Question justice, il suffit de revoir le barème des petites successions indirectes. Mais, pour l’efficacité, il convient de s’attaquer à ce qui plombe les recettes. Le Conseil d’analyse économique (CAE), rattaché à Matignon, le suggérait en 2021. Si, selon les années, l’impôt sur l’héritage rapporte entre 8 et 18 milliards d’euros, revoir les principales niches fiscales qui le grèvent rapporterait de 9 à 19 milliards d’euros par an. Les économistes du CAE, et Oxfam après eux, alertent sur le fait que la situation va prendre de l’ampleur. L’essentiel du patrimoine est détenu par la génération des baby-boomeurs, qui en ont accumulé 20 % de plus que les autres, et la question de leur héritage commence sérieusement à se poser.
Deux niches fiscales se révèlent particulièrement nocives pour les recettes de l’État. L’assurance-vie, produit d’épargne très apprécié, promet aux plus riches de transmettre 152 000 euros net d’impôts lors de la succession, et de payer un taux réduit sur le reste. Dans son rapport « Repenser l’héritage », paru fin 2021, le Conseil d’analyse économique estimait que cet abattement représentait un manque à gagner de 4 à 5 milliards d’euros par an pour l’État.Le pacte Dutreil permet, lui, de transmettre son entreprise, comme ses actions (y compris des titres boursiers détenus partout dans le monde), avec un abattement fiscal de 75 % sans plafond. « À l’origine, cette disposition était prévue pour permettre la continuité de l’activité, mais ce qui peut se comprendre pour la transmission d’une boulangerie à ses enfants, ne peut pas être mis sur le même plan pour des actions LVMH », explique Layla Abdelké Yakoub, autrice du rapport d’Oxfam. 40 % du montrant transmis via ce pacte Dutreil concerne ainsi des successions de plus de 60 millions d’euros… Et quand les dispositions françaises ne suffisent pas, les plus riches vont voir l’offre des pays voisins. « La Belgique était un temps très à la mode, puisqu’il y a une exonération d’impôt sur la transmission des actifs professionnels, rappelle Vincent Drezet, porte-parole d’Attac. Mais, ces dernières années, le Portugal promet aux retraités français qui y ont acheté de l’immobilier et qui y résident depuis dix ans, un taux imbattable d’imposition à 0 % sur leur succession. »
Comment récupérer 9 à 19 milliards
Oxfam propose ainsi de supprimer l’abattement spécifique aux assurances-vie et d’aligner la taxation de leurs transmissions sur un barème progressif unique. Quant au pacte Dutreil, l’ONG suggère dans un premier temps d’instaurer un plafond à 2 millions d’euros, puis de le faire évoluer pour « faciliter et promouvoir la transmission d’entreprises à leurs salarié·es ». L’ONG réclame aussi de prendre en compte l’ensemble des transmissions reçues dans la fiscalité de l’héritage. Les plus aisés cumulent en effet des donations défiscalisées du vivant des parents et grands-parents (tous les quinze ans, on peut transmettre jusqu’à 500 000 euros par enfant…) et des abattements fiscaux supplémentaires lors de la succession. « Ces propositions sont indolores pour 98 % à 99 % des Français », assure Cécile Duflot.
Enfin, pour assurer l’efficacité de l’impôt, ainsi que la coopération internationale contre l’évasion fiscale, Oxfam intime à Bercy de produire et diffuser au moins annuellement des données et des statistiques claires sur la question. « En 2024 encore, les documents de succession sont toujours sous forme papier ; résultat, il n’y a aucune transparence et on ne peut pas agréger les données, déplore Cécile Duflot. On ne connaît même pas le nombre de personnes qui refusent leur succession, ou qui touchent 0 euro… »