La France, pays de la gréviculture ? L’idée est battue en brèche par Baptiste Giraud, dans « Réapprendre à faire grève », publié le 4 septembre. Le maître de conférences en science politique à l’université d’Aix-Marseille y présente les conclusions de son enquête au sein de l’union syndicale CGT du commerce et des services à Paris, en 2005, lors de la réalisation de sa thèse. En suivant l’activité syndicale de la CGT dans une branche où elle est peu implantée, le chercheur illustre les difficultés qu’éprouve la confédération à développer des grèves, dans un secteur en proie aux mutations du travail.
Quelles sont les raisons qui poussent actuellement des travailleurs à se mettre en grève ou à ne pas le faire ?
Elles sont multiples. Le principal motif de grève reste celui des salaires, même si cela s’articule souvent aussi aux conditions de travail et que les problématiques de sauvetage de l’emploi montent en puissance. Dans un contexte de réorganisations permanentes, on observe plus généralement une part croissante d’insatisfaction au travail mais aussi, dans le même temps, une difficulté pour les salariés à se mettre en grève pour exprimer ce mécontentement.
En 2019, seules 2,5 % des entreprises de plus de dix salariés ont déclaré avoir connu une grève. Et là où les débrayages existent, la participation tend à reculer, y compris dans le secteur public. Cette faible intensité des grèves est d’autant plus vraie, et c’est l’objet de ce livre, en ce qui concerne les salaires et les conditions de travail, pour ceux qu’on peut qualifier de nouveaux prolétaires des services.
Cela peut s’expliquer tant par la précarité salariale que par l’éclatement de ces collectifs de travail. Et ils ont face à eux un patronat très hostile au syndicalisme et très pugnace. Sa résistance contre les revendications des Vertbaudet ou des femmes de l’hôtel Ibis des Batignolles le démontre. Pour ces salariés, la grève reste donc perçue comme un acte coûteux et risqué, qui expose à des répressions patronales. Se mettre en grève va d’autant moins de soi que ces personnels ont peu l’habitude de cette pratique. Mon analyse consiste justement à montrer tout ce que le recours à la grève implique comme réapprentissage militant.