C’est le ministre « parfait ». Parfait pour s’assurer le soutien de l’extrême droite. L’adjectif a même été choisi par Éric Ciotti, lundi sur RTL, pour qualifier la nomination de Bruno Retailleau, à l’Assemblée. Comme le RN, celui qui quittera « Les Républicains » (LR) le 1er octobre fustige dans le discours la composition du gouvernement mais assure qu’il ne votera pas de « censure au préalable ».
Cela dit bien ce que représente Bruno Retailleau dans ce nouvel exécutif. Un gage envoyé par Michel Barnier et Emmanuel Macron à l’extrême droite, à qui ils ont choisi de donner les clés de leur avenir. Le président de la République et son premier ministre ont ainsi nommé, avec l’ex-président du groupe LR au Sénat, le poids lourd politique (le seul, d’ailleurs, à faire son entrée au gouvernement) le plus à droite de l’échiquier politique hors RN et alliés.
À remonter le fil de la carrière de Bruno Retailleau, il est même difficile de le distinguer de l’extrême droite. Elle commence dans sa Vendée natale, à la fin des années 1980, lorsque l’économiste de formation intègre le Mouvement pour la France, le parti de Philippe de Villiers, dont il deviendra le « fils spirituel », selon les mots de l’ancien candidat à la présidentielle.
Une obsession : « rétablir l’ordre »
Aux côtés de celui-ci, avec lequel il partage les idées réactionnaires et l’héritage antirévolutionnaire, Bruno Retailleau participe à la création du Puy du Fou, parc qui diffuse une vision révisionniste, fantasmée et ultracatholique de l’histoire de France. Le nouveau ministre de l’Intérieur y fut même cavalier sur certains spectacles, avant d’être l’un des artisans de la triche mise en place dans l’émission Intervilles en 1997 pour permettre au Puy du Fou de l’emporter, en soufflant lui-même des réponses aux candidats.
La suite de sa carrière, au conseil général de Vendée pendant vingt-sept ans, à l’Assemblée nationale (1994-1997), à la présidence du conseil régional des Pays de la Loire (2016-2017) ou au Sénat depuis 2014 a toujours été marquée par ses sorties teintées de xénophobie sur l’immigration ou sur l’islam. Lui qui a plusieurs fois tenté d’interdire le port de signes religieux dans l’espace public n’entend pas se renier depuis Beauvau.
Lundi 23 septembre au matin, le discours d’investiture de Bruno Retailleau tendait presque à faire passer Gérald Darmanin pour un laxiste. « J’ai trois priorités : la première, rétablir l’ordre, la deuxième, rétablir l’ordre, la troisième, rétablir l’ordre », a déclaré l’ancien lieutenant de François Fillon.
Entre deux déclarations d’amour aux forces de police, il a aussi donné son regard sur l’insécurité : « La violence, ce n’est pas un vague sentiment, c’est une réalité. » « Ce sont des propos que nous tenons quasiment quotidiennement », a reconnu sur CNews le député RN Philippe Ballard.
Des dizaines de textes anti-immigration
Le discours de Bruno Retailleau sur l’immigration est également de nature à séduire l’extrême droite. À bien l’écouter, le ministre semble voir les exilés et les réfugiés comme des sauvages précipitant la France dans la régression et le chaos. Déjà, en 1997, il clamait qu’une « société multiculturelle serait forcément une société multiconflictuelle », puisque « les gens qui viennent, notamment l’immigration africaine, ce sont des gens qui n’ont pas la même culture que nous ».
En 2023, pendant les révoltes consécutives au meurtre de Nahel Merzouk, il considère que « pour la deuxième, troisième génération il y a comme une sorte de régression vers les origines ethniques ». Celui qui glorifie les « belles heures » de la colonisation prône « l’assimilation plutôt que l’intégration », parle de « Français de papier », et même de « décivilisation »…
Depuis qu’il est devenu, il y a dix ans, le chef de file des sénateurs UMP/LR, le Vendéen est même le champion du concours Lépine des pires idées pour s’attaquer aux réfugiés. Suppression de l’aide médicale d’État (AME), du droit du sol, des subventions aux associations venant en aide aux migrants, instauration de la double peine, limitation des visas et du regroupement familial… C’est par lui et son groupe que les vieilles revendications de l’extrême droite ont franchi les frontières politiques.
C’est aussi sous son impulsion que la loi immigration de décembre 2023 a tourné en victoire culturelle du RN, le chef des sénateurs LR ayant mis la pression pour y injecter une bonne dose de préférence nationale, concernant l’accès aux aides sociales en particulier. Des dispositions finalement censurées par le Conseil constitutionnel, mais que le nouveau ministre veut remettre sur la table.
Sa nomination peut faire craindre le pire alors que l’extrême droite réclame de nouvelles mesures, sous menace de censure. « Suppression du droit du sol, fin des aides sociales aux migrants, expulsion des étrangers délinquants… Il est temps de prendre des décisions fortes », lui a explicitement demandé le député RN Laurent Jacobelli, lundi.
Un anti-front républicain profitant du barrage
En matière de sécurité, son principal champ d’action, Bruno Retailleau reste un partisan du tout-répressif. Sur le « maintien de l’ordre » en manifestations, des régressions sont à craindre de la part de celui qui a déposé des textes pour conférer le pouvoir aux préfets d’interdire à une personne de manifester si elle représente une « menace pour l’ordre public » ou encore de réduire le droit de grève dans les transports.
Au CV du ministre de l’Intérieur, il faut ajouter son vote contre l’interdiction des thérapies de conversion en 2021, ses violentes diatribes contre le mariage pour tous ou sa résistance à inscrire la constitutionnalisation de l’IVG à l’ordre du jour au Sénat.
Un épais catalogue qui en fait le symbole de ce gouvernement globalement réactionnaire, cristallisant les critiques, y compris dans le camp présidentiel. « C’est la vieille droite française, c’est la vieille France, ils ont voté contre tous les sujets sociétaux que nous avons fait avancer ! » s’emporte dans Mediapart le député macroniste Ludovic Mendes.
Sans oublier que la nomination de Bruno Retailleau constitue aussi une insulte de plus aux électeurs et à leur message envoyé dans les urnes le 7 juillet, le barrage républicain, que Bruno Retailleau rejette depuis plusieurs années. Avant de se positionner contre le désistement de candidats LR lors du dernier scrutin, il a même refusé de donner toute consigne de vote pour le second tour de la présidentielle 2022…
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