La Cour des comptes a rendu ce lundi 16 septembre un rapport attendu sur la scolarisation des élèves en situation de handicap dont les besoins ont explosé. Si les efforts sont évidents, leur efficacité l‘est moins.
Peut (nettement) mieux faire malgré des efforts. C’est ainsi que l’on pourrait résumer le bulletin de notes de l’Éducation nationale sur l’inclusion des élèves en situation de handicap. La sentence de la Cour des comptes, qui s’était saisie du sujet à l’issue d’une consultation citoyenne en 2022, révèle un bilan plus que contrasté d’une politique pourtant volontariste depuis deux décennies et la loi de février 2005 sur l’inclusion scolaire.
Cette volonté s’est traduite dans les chiffres. L’école s’étant montrée plus ouverte, elle a accueilli toujours plus d’élèves en situation de handicap très divers, passant de 155 361 en 2006 à 436 085 en 2022. L’État y a consacré d’importants moyens, leurs accompagnants (AESH) sont même devenus le deuxième métier de l’institution, avec 78 816 agents (équivalents temps plein) en 2023, une hausse de 90 % depuis 2013, soit une masse salariale qui a augmenté de “278 %”. “Le succès au plan quantitatif est indéniable : l’Éducation nationale s’est organisée et transformée tant au niveau du pilotage institutionnel que des pratiques professionnelles des personnels”, affiche la Cour des comptes.
Hétérogènes, incomplètes
Mais elle nuance très vite. “Ces transformations s’avèrent hétérogènes selon les territoires et, dans bien des cas, incomplètes”. Surtout, le “recours massif” aux AESH – qui pourrait par ailleurs “constituer un obstacle à la prise d’autonomie de l’élève” selon la dernière Conférence nationale du handicap d’avril 2023 – s’effectuerait “au détriment de dispositifs d’accessibilité qui restent insuffisamment aboutis”, notamment l’accessibilité des bâtiments ou l’adaptation des supports pédagogiques. La Cour interroge donc “la maîtrise et la soutenabilité” d’une telle montée en charge “au regard des contraintes budgétaires actuelles et futures”, mais aussi de son efficience.
L’académie de Montpellier dans la bonne moyenne
Les chiffres de la Cour des comptes montrent que l’Académie de Montpellier n’est pas la plus en retard, et de loin, dans ce travail d’inclusion scolaire. Le taux d’élèves sans accompagnement est l’un des plus bas, juste derrière les académies de Corse, Nancy-Metz et Besançon. En avril 2023, ils étaient 417 sans accompagnement, sur un total de 17 365 élèves ayant une notification l’imposant, soit 2,4 %, contre une moyenne nationale de 8 %. Les cinq départements affichent aussi un taux de couverture de matériel pédagogique adapté supérieur à la moyenne nationale de 68 % : 81 % dans l‘Hérault, 85 % dans le Gard, et jusqu’à 95 % dans les Pyrénées-Orientales pour un total de 4 907 élèves. À la veille de la rentrée, la rectrice Sophie Béjean assurait de sa volonté de répondre au mieux aux besoins. Quelque 120 AESH ont ainsi été recrutés cette année soit un total désormais de près de 7 000 agents – soit 4 324 équivalents temps plein selon les syndicats. On compte par ailleurs 472 dispositifs Unités localisés pour l‘inclusion scolaire (Ulis) dont 13 viennent d’ouvrir en cette rentrée. Le rapport de la Cour des comptes montre toutefois que les chiffres ne disent pas tout de la qualité d’accompagnement. Mme Béjean rappelait aussi que le sujet est “complexe”.
Au fil des 160 pages de rapport, on lit que les enseignants se sentent souvent démunis pour diversifier leur action pédagogique en raison de nombreux facteurs, à commencer par des effectifs d’élèves par classe “trop nombreux et qui limitent les possibilités d’individualiser leurs enseignements”, ou “l’absence de supports pédagogiques adaptés”. Les familles ont “unanimement qualifié la scolarisation de leurs enfants de parcours du combattant”, décrivant “des parcours discontinus sources de sentiments de mal-être et d’incertitudes sur leur avenir”. Les accompagnants, eux, se disent “insuffisamment outillés et préparés pour faire face à des situations qui dépassent parfois leurs compétences et leurs moyens d’action”, réclamant de meilleures formations initiale et continue, qu’ils aimeraient voir croisées avec le médico-social.
La difficile coexistence de deux secteurs
La Cour des comptes analyse d’ailleurs que si la politique d’école inclusive présente autant de faiblesses de mise en œuvre, c’est notamment parce qu’elle est tributaire de la coexistence de deux secteurs “dont la coordination et les interactions ne sont pas satisfaisantes” : le secteur éducatif et le secteur médico-social. Les décisions finales “s’imposent” à l’Éducation nationale, “sans que celle-ci ait la possibilité d’alerter, par exemple, sur les cas d’élèves qui auraient dû être accueillis en structures médico-sociales, mais qui n’y sont pas, faute de places dans ces dernières ou par choix des familles”. À la veille de la rentrée, la ministre démissionnaire de l’Éducation nationale, Nicole Belloubet, avait d’ailleurs glissé que 24 000 enfants en situation de handicap allaient devoir être accueillis à l’école, faute de places en instituts médico-éducatifs.
Jessica Boyer du SNALC, syndicat majoritaire des AESH
“La masse salariale des AESH a augmenté de 278 % entre 2013 et 2022.” Pendant que la Cour des comptes s’interroge sur un recours massif à ces personnels “aux effets discutables”, tout en se défendant de tout malentendu “il ne faut pas moins d’accompagnants”, le premier syndicat des ÆSH, le SNALC, pose son cadre. “Dire que la présence de ces assistants peut constituer un obstacle à la prise d’autonomie d’un élève ne tient pas. C’est le dada de l’administration, on l’avait senti venir ! Elle veut passer de la compensation à l’accessibilité, ordinateur et adaptation pédagogique par exemple, qui ne nécessite pas d’intervention humaine”.
Ce qui pour le SNALC n’est jamais qu’un leurre. “Comment réduire la masse salariale sans avoir l’air d’y toucher”, s’indigne Jessica Boyer vice-présidente du SNALC pour l’académie de Montpellier. Mais les enseignants sont toujours aussi désemparés face aux élèves loin des apprentissages proposés ou présentant des comportements très perturbateurs : “Sur les registres de sécurité et de santé au travail, les trois quarts des fiches renseignées du 1er degré concernent des faits de violence liés à des inclusions de TDAH (troubles du déficit de l’attention) ou TSA (spectre autistique) par exemple, faites dans des conditions insuffisantes : crachat, morsure. Certains devraient être Institut médico-éducatif”. En 2023 dans l’Hérault, 400 élèves n’avaient pas de place en IME et 90 en ULIS. Comment résoudre la quadrature du cercle avec les moyens disponibles ? “Il ne faut pas faire croire que les AESH sont un frein à l’autonomie d’un élève. Le matériel ne remplacera jamais l’humain”.