Contrairement à la nomination d’un gouvernement, la controversée fusion de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN) et de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), elle, n’attendra pas. Le projet de loi relatif à la gouvernance de la sûreté nucléaire, soutenu par le camp présidentiel, la droite et, au dernier moment, par le Rassemblement national, a été adopté par les députés le 9 avril, face à un front de gauche uni, mettant ainsi d’accord pro et anti-nucléaire. Vivement critiquée par de nombreux experts et associations, la réforme promulguée le 21 mai prévoit la création, au 1er janvier 2025, d’une Autorité de sûreté nucléaire et de radioprotection (ASNR), issue de ce rapprochement entre le gendarme du nucléaire, l’ASN, et l’expert technique du secteur, l’IRSN.
Bien que la dissolution de l’Assemblée nationale, les élections législatives anticipées et l’absence de gouvernement de plein exercice aient bousculé l’agenda politique, la création de ce mastodonte aura bel et bien lieu dans quatre mois, au grand dam des salariés concernés. Déjà vent debout contre ce projet visant à « améliorer l’efficience des procédures en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection et l’attractivité des métiers du nucléaire », les personnels craignent désormais les conditions « irréalistes » et « floues » de sa mise en œuvre.
Risques de rivalités
Conformément à l’article 16 de la loi, une période de consultation a été ouverte par un courrier du collège de l’ASN adressé à l’ensemble des personnels le 20 juin, et courra jusqu’au 16 septembre. C’est dans ce cadre estival mouvementé que six décrets d’application ont fait leur chemin, au sein des administrations ministérielles, dont trois seulement ont pour l’heure été arbitrés. Ils confirment ainsi que la petite bête s’apprête à manger la grosse, faisant grandir, des deux côtés, la peur de rivalités au sein de la future organisation.
Le premier texte vise à transférer les personnels en charge de la « dosimétrie » au sein de l’institut expert, vers le Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA), structure placée sous la tutelle des ministères chargés de l’Énergie, de la Recherche, de l’Industrie et de la Défense. Le second encadre le transfert des personnels de la Direction de l’expertise nucléaire de défense (Dend) de l’IRSN vers le CEA également, impliquant donc une mise à disposition des agents au ministère des Armées. Le dernier décret d’ores et déjà validé par l’exécutif concerne le transfert des biens, droits et obligations, de l’IRSN, existant aujourd’hui sous la forme d’un établissement public national à caractère industriel ou commercial (Epic), vers l’ASN qui est, elle, une autorité administrative indépendante (AAI). Un premier pas, donc, vers la création d’une organisation unique, venant s’installer au creux de l’actuelle coquille de l’ASN.
Plus qu’une fusion, la gestation de l’ASNR s’achèvera par l’absorption de l’IRSN, dont les 1 800 salariés disposent de contrats de droit privé, par l’ASN, dont les 530 salariés agents sont fonctionnaires et contractuels de droit public. Une opération colossale, mais surtout inédite, dont la méthodologie est encore loin d’être clairement arrêtée, malgré un délai très serré. Même le candidat proposé en mai par l’Élysée, Pierre-Marie Abadie, actuel directeur de l’Andra (Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs), voit son audition devant les parlementaires constamment repoussée depuis le mois de juin, tandis que le président de l’ASN, Bernard Doroszczuk, prendra sa retraite le 13 novembre.
Pour mettre en place ce périlleux calendrier à horizon 2025, la commission de consultation sur le projet de fusion (CCPF), composée des directions des deux entités, ainsi que des représentants de leurs personnels, s’est adjointe l’aide d’une société consultante, Eurogroup, dans le cadre d’un marché public. Réunie ce lundi 2 septembre après-midi, cette CCPF a invité ces experts à présenter leur planning « encore trop imprécis », déplore Charlotte Guénault, déléguée du syndicat FO, majoritaire à l’ASN. La représentante du personnel regrette qu’un coup de pouce, quel qu’il soit, n’aille pas au-delà du 1er janvier.
Bras social
L’installation d’un dialogue social équilibré, une tâche acrobatique. Le quatrième projet de décret « relatif au dialogue et au fonctionnement des instances de dialogue social durant la période transitoire jusqu’à la constitution du comité social d’administration (CSA) de l’ASNR » a, lui, créé des remous, notamment au sein de l’ASN, dont le premier avis rendu fin juillet par les représentants du personnel était « unanimement défavorable ». Au cours de cette période, qui doit durer du 1er janvier à la prochaine élection professionnelle, fin mars 2026, il s’agirait de maintenir l’actuel CSA de l’ASN, ainsi que le CSE de l’IRSN. Mais dans quelle mesure ?
Dans un communiqué envoyé au personnel de l’ASN, les élus de FO justifient leur décision par la nature « très défavorable (du décret) pour les actuels personnels de l’ASN (et plus généralement pour les personnels de droit public au sein de la future autorité) ». En effet, le projet de décret, y compris dans sa deuxième version, présentée lors du CSA de l’ASN le 22 août, « prévoit la mise en place d’une formation conjointe, dans laquelle les représentants du personnel membres de l’actuel CSE de l’IRSN et du CSA de l’ASN seront consultés pour l’examen de toute question d’ordre général relative au fonctionnement de l’ASNR ».
Le syndicat reconnaît que, d’un « point de vue purement numérique, il est légitime que les personnels de droit privé (IRSN) jouissent d’une représentation plus importante ». Il dénonce cependant le fait que « les règles définissant le nombre de représentants du personnel d’un CSA et d’un CSE ne soient pas harmonisées, conduisant à une surreprésentation des membres du CSE au détriment des membres du CSA ».
C’est pourquoi, le second avis rendu a également été défavorable. Côté IRSN, au contraire, François Jeffroy, délégué CFDT, estime qu’il serait injuste que le nombre de représentants ne soit pas proportionnel au nombre de salariés évoluant dans la future organisation. L’avis des représentants du CSE est lui attendu pour ce mercredi 4 septembre.
Risques de doublons
Les deux organisations s’accordent cependant sur leur inquiétude quant à cette future période d’instabilité. « Nous savons que, derrière chaque période transitoire, se cachent d’importants risques psychosociaux pour les salariés », explique la section syndicale CFDT de l’ASN. « Nous sommes à un tournant dans le nucléaire français, déstabiliser l’organe de contrôle du nucléaire est un véritable risque », abonde le syndicat minoritaire de l’autorité, en faisant par exemple référence à la mise en marche de l’EPR de Flamanville après douze ans de retard (voir encadré).
L’organisation qui sera temporairement mise en place à compter du 1er janvier pose également question à plusieurs niveaux. Il s’agira d’une « simple juxtaposition des organigrammes de l’IRSN et de l’ASN », explique l’inspectrice de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, Charlotte Guénault. Outre le fait qu’il y a bien plus de niveaux hiérarchiques au sein de l’IRSN, cette solution suscite d’importantes appréhensions pour les fonctions supports. « Nous n’allons, à terme, pas pouvoir garder deux directrices juridiques ou deux directrices de la communication », appui l’élue FO. Les deux derniers décrets d’application, « toujours en cours d’élaboration », côté exécutif, concernent le transfert des activités d’expertise de défense de l’IRSN vers le ministère des Armées. Le dernier doit, lui, fixer un cadre légal pour les prestations commerciales de l’IRSN, soit la frange « rémunération pour service rendu », qui sera dès 2024 intégrée à une autorité administrative indépendante relevant de fait du droit public.
Les inquiétudes, préexistantes à la promulgation de la loi, se concrétisent à mesure que la date de fusion se rapproche. La manière dont collaboreront les personnels de droit privé et public est loin d’être évidente, et des deux côtés on craint de se faire broyer, de devoir à terme expertiser et décider. La période de consultation en cours commence par ailleurs à cristalliser certaines tensions entre les deux instances, rattrapées par leurs différences de cultures et de compétences.
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