Cette semaine, l’un des plus grands exportateurs mondiaux de combustibles fossiles s’est rendu à une réunion d’États insulaires fortement touchés par le changement climatique d’origine humaine.
Ou, pour le dire plus conventionnellement, les dirigeants australiens ont assisté au Forum annuel des îles du Pacifique à Tonga.
Depuis 1971, ce forum est le rendez-vous diplomatique privilégié des pays du Pacifique, dont l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La sécurité était à l’ordre du jour cette année, dans un contexte de manœuvres géopolitiques et de troubles en Nouvelle-Calédonie. Mais un sujet a surtout retenu l’attention : le changement climatique.
Lors de l’ouverture du forum, le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, l’a clairement indiqué :
Il y a une énorme injustice par rapport au Pacifique et c’est la raison pour laquelle je suis ici […] Les petites îles ne contribuent pas au changement climatique, mais tout ce qui se passe à cause du changement climatique est ici multiplié.
L’Australie a un parcours difficile à suivre lors du sommet. Il ne suffit pas de souligner les progrès réalisés par l’Australie en matière d’énergie verte. Nos voisins se concentrent sur l’émergence de l’Australie comme deuxième exportateur mondial d’émissions de combustibles fossiles et sur l’ouverture progressive de nouveaux gisements de gaz et de charbon. Alors même que l’accord sur le climat et les migrations entre l’Australie et Tuvalu entrait en vigueur, la ministre du changement climatique de Tuvalu, Maina Talia, a appelé à mettre un terme aux actes « immoraux et inacceptables » que sont l’ouverture de nouvelles mines, le maintien des subventions aux combustibles fossiles et l’exportation de ces derniers.
Les dirigeants australiens espèrent co-organiser les plus importantes négociations mondiales sur le climat en 2026, en partenariat avec les pays insulaires du Pacifique. Si certains dirigeants du Pacifique s’opposent à une co-organisation sans l’engagement australien de mettre fin aux nouveaux projets de gaz et d’énergie, d’autres y voient un moyen pour l’Australie de montrer qu’elle fait vraiment partie de la « famille du Pacifique ».
Que s’est-il passé au forum ?
L’un des points importants du forum de cette année a été l’Union Falepili, un pacte entre l’Australie et Tuvalu signé l’année dernière et entré en vigueur lors du forum. Le ministre du Développement international et du Pacifique, Pat Conroy, a déclaré qu’il s’agissait de la
L’accord le plus important entre l’Australie et l’un de ses partenaires du Pacifique depuis les accords d’indépendance de la Papouasie-Nouvelle-Guinée en 1975.
Le traité permet à 280 Tuvaluans de s’installer chaque année en Australie, tout en engageant l’Australie à financer les efforts d’adaptation au changement climatique et de réponse aux catastrophes sur les îles. Fait important, le traité stipule également que l’Australie reconnaîtra le statut d’État de Tuvalu, même si ce pays devait être submergé en raison du changement climatique.
En échange, Tuvalu et l’Australie s’entendront « ensemble » sur tout accord impliquant la sécurité ou la défense de Tuvalu. Concrètement, cela donne à l’Australie la capacité extraordinaire de bloquer toute action de Tuvalu qui, selon elle, ne sert pas ses intérêts régionaux. C’est important, car la Chine cherche à étendre son influence dans le Pacifique.
Lors du forum des dirigeants jeudi, la candidature conjointe de l’Australie pour accueillir la 31e conférence des Nations Unies sur le climat devrait être discutée. Ce n’est pas garanti, car la Turquie a également déposé une candidature. Les dirigeants du Pacifique ont clairement fait savoir qu’ils feraient tout pour que l’Australie aille au-delà des efforts visant à réduire les émissions locales.
Que pourrions-nous voir d’autre ?
Les analystes suivent de près la manière dont les dirigeants néo-zélandais abordent le forum. Si la Nouvelle-Zélande entretient des liens très étroits avec le Pacifique et soutient activement les efforts d’adaptation au changement climatique dans de nombreux pays de la région, le nouveau gouvernement de droite montre des signes de retrait des efforts nationaux en matière de climat.
Lors du forum, le vice-Premier ministre et ministre des Affaires étrangères de Nouvelle-Zélande, Winston Peters, a attiré l’attention sur le fait que l’on minimise le rôle de l’homme dans le changement climatique et que l’on affirme que certaines îles du Pacifique sont en pleine croissance.
Les nations insulaires sont-elles unies ? Pas sur tous les sujets. Mais sur le climat, elles ont appris à parler d’une seule voix. Ces dernières années, les pays du Pacifique sont devenus le nouveau visage de la diplomatie climatique. Lors des négociations sur le climat de Charm el-Cheikh en 2022, en Égypte, les pays du Pacifique ont fait preuve de visibilité et d’efficacité dans leurs efforts pour obtenir de meilleures promesses de financement pour couvrir les pertes et les dommages causés par le changement climatique.
L’expert du Pacifique George Carter a décrit cette semaine l’approche efficace du Pacifique : inviter l’Australie à être plus active en tant que membre de la famille du Pacifique tout en nous poussant à réduire notre dépendance aux combustibles fossiles.
Les dirigeants du Pacifique ont toujours affirmé qu’ils étaient prêts à porter leur allégeance ailleurs si les discours de haut niveau ne se traduisaient pas en actes. En 2019, l’ancien Premier ministre fidjien Frank Bainimarama a affirmé que l’hésitation du gouvernement australien Morrison face au changement climatique pousserait les pays du Pacifique à se rapprocher de la Chine.
Cela s’explique par le coût élevé de l’adaptation à l’élévation du niveau de la mer et par la petite taille des pays du Pacifique.
Le Vanuatu, par exemple, a été le premier pays à évaluer le coût de l’adaptation au changement climatique. Réponse : 260 millions de dollars australiens d’ici 2030, rien que pour faire face aux pertes et aux dommages. Éliminer progressivement les combustibles fossiles et décarboner le pays, en plus des projets d’adaptation, coûterait 1,75 milliard de dollars, une somme faramineuse pour un petit pays.
Le Vanuatu est déjà le pays le plus exposé aux catastrophes naturelles. Il doit en plus relever le défi de protéger les côtes et de relocaliser les villages.
À ce jour, les Fidji ont procédé à six relogements communautaires liés au climat. Selon le gouvernement, 42 autres ont besoin d’une aide immédiate et 800 autres auront bientôt besoin d’aide. Sans financement extérieur, les besoins seront bientôt éclipsés par ce que le gouvernement peut offrir.
Quelle est la prochaine étape ?
Pour le Pacifique, le changement climatique est primordial. Lorsque Guterres a évoqué l’abandon des énergies fossiles, de nombreux observateurs ont interprété ses propos comme des propos visant l’Australie.
Il est peu probable que l’Australie parvienne à rallier le Pacifique à ses côtés par le biais d’accords bilatéraux, d’initiatives de police régionale ou en mettant en avant les efforts nationaux pour devenir plus écologiques et atteindre plus tard la neutralité carbone. Pour le Pacifique, l’avenir est là. Le changement climatique est en train de lécher ses côtes et les promesses d’avenir n’ont que peu de valeur.